(Mise a jour 29/11/2021)
Nous sommes a la fin du XIX siecle, dans le Piemont italien. Loin de la bouillante et industrielle Turin un peu plus au Sud, Ronco Canavese est un petit village encaisse au fond de l'etroite Val Soana, en bordure du parc national du Grand Paradis. C'est la que Gaetano Pietro Picchiottino nait en 1872.
L'environement montagneux n'est pas des plus propices a l'agriculture, et l'economie y est de fait tres limitee. Durant les mois d'hiver, il n'est pas rare que ces vallees piemondtaises soient coupees du monde pendant plusieurs mois suite a une avalanche. Les gens y sont pauvres et ne mangent pas tous les jours a leur faim. A l'image des petits ramoneurs savoyards, de l'autre cote de la frontiere, les enfants sont souvent mis a contribution tres tot pour aider a subvenir aux besoins de la famille.
Issu d'une famille de vitrier-zinceur, Gaetano Pietro part ainsi jeune tenter sa chance en France comme plusieurs de ses cousins. Il existe en effet toute une filiere d'entraide pour ces jeunes bras qui peuvent offrir leurs talents dans les villes frontalieres. Ils traversent les Alpes pour quelques mois, histoire de vendre leur industrie, faire un peu d'argent, avant de s'en retourner dans leurs villages, leur paie en poche.
De fait, la presse de l'epoque fait etat de ces groupes d'Italiens, se deplacant de villes en villages pour chercher du travail... Ou faire fortune parfois par des moyens pas tres respectables. Dans une chronique legale de l'Impartial Dauphinois de fevrier 1874, on peut lire comment un certain Guillaume Picchiottino de Ronco, chaudronnier de son etat, s'est retrouve sur le banc des accuses pour avoir fondu de la fausse monnaie et l'avoir utilisee vers Bourg D'Oisans avec un complice lors d'un colportage en France. En 1884, un autre journal, le Patriote Savoisien, rapporte comment un groupe de Piemontais ont echange des coups de couteaux lors d'une rixe avec des habitants de Saint Jean D'Arvey, sans doute emeches. Le coupable, un certain Andre Picchiottino de Ronco passera trois mois en prison...
Bref, les Italiens ont le sang chaud et on ne leur rend sans doute pas la vie facile a ces migrants... Ce n'est donc pas tout a fait un hasard si l'on trouve la trace de Gaetano Pietro dans les registres carceraux de la maison d'arret de Briancon. On est en 1885, et celui-ci vient d'etre interpelle en flagrant delit de vol... Il ne s'agit sans doute pas d'un gros larcin car Gaetano Pietro ne sera incarcere que trois jours, entre les 3 et 5 juin...
Vos calculs sont bons. Si le registre des naissances de Ronco est fiable, Gaetano Pietro est a peine age de 13 ans au moment des faits, mais son casier judiciaire ci-dessus lui en accorde 19. Difficile de savoir s'il a menti sur son age pour etre traite comme les adultes avec lesquels il voyageait plutot que d'etre place, ou bien si ce sont plutot les gendarmes qui ont fait du zele pour donner une lecon a cet etranger vetu de noir. En tous cas, du haut de ses 1m46 il ne devait pas faire le fier entre quatre murs.
En Janvier 1900, Gaetano Pietro est en Italie. Il epouse le 1er Février Maria Marguerita Recrosio, nee en 1880, elle aussi a Ronco Canavese. Ronco est un petit village est les quelques familles etablies dans ces vallees se marient entre elles sans doute pour proteger les petits patrimoines agricoles. Mais au cours de ses 18 premieres annees Gaetano Pietro a deja beaucoup vecu, et il comprend que l'avenir de son foyer s'ecrit ailleurs.

Le couple part donc s'installer a La Mure, dans la region matheysine qui se trouvent a quelques centaines d kilometres, sur le versant francais des Alpes. La Mure a quelques atouts pour ces emigres: il s'agit d'une ville miniere qui reste finalement peu eloignee de leur terre natale et permet des allers-retours occasionnels pour rendre visite a la famille restee au pays. Il y a aussi du travail car l'industrie prend son essor en ce debut de siecle, et elle a besoin de combustible et de matieres premieres. Un jeune cousin les suivra quelques temps plus tard, sans doute inspire par ces aines : Giovanni 'Jean' Picchiottino passera aussi la frontiere definitivement puisqu'il epousera une fille du coin, Marie Philippine Serre, et se fera naturalise en 1927.

Si Maria se fera naturaliser le 28 janvier 1928, Gaetano Pietro lui ne sautera pas le pas a priori. Il reste fidele a son Italie natale, et a son corps de metier. Il cree ainsi une entreprise de vitrerie et l'installe dans la maison familliale du 15 de la rue Cotte Rouge. En 1906, lors du recensement national, deux apprentis d'origine italienne resident avec la famille... Meme s'il s'est sedentarise, Gaetano continue de faire fonctionner la filiere des etameurs qui lui a permis d'en arriver la.
Ce meme recensement nous apprend que le foyer s'est agrandi. Trois de leurs cinq enfants sont deja nes, deux de plus suivront. Selon les circonstances et les documents, leurs noms oscillent entre leur version italienne ou francaise, comme c'est souvent le cas pour les immigres de premiere generation. La fratrie complete incluera donc:
Maria Marguerita et Gaetano Pietro vivent une vie rangee, et la prochaine fois que l'on voit apparaitre leur nom dans la presse locale ce sera pour les exploits sportifs de leur fils Pierre avec le Rugby Club Murois, ou parce qu'une... "poule égarée s'est réfugiée chez M. Picchiottino, rue Cotte-Rouge, chez qui le propriétaire peut la réclamer". Veridique!
Meme la Grande Guerre ne viendra pas troubler cette quietude. En tant que resortissant italien et de part son age, Gaetano ne fut pas mobilisable dans les forces francaises, ni lorsque l'Italie entra en guerre en 1915.
Gaetano Pietro decedera en 1949. Maria Marguerita lui survivra jusqu'en 1964. Tous deux sont enterres a La Mure. Le couple y repose sous les prenoms Pierre et Marguerite...