1 mars 2000

Raoul Chambaz (1915-2001) et Fernande Freynet (1921-2008)

(mise a jour: 19/2/2024)

Le 24 mars 1915 Raoul René nait à Villeurbanne au 1, Cours Tolstoi. Sur l'acte de naissance, il n'est pas fait état d'un père, et l'enfant porte donc le nom de famille de sa mère, Emilie Angèle CHABERT (1895-1985). Quand celle-ci épouse Charles, Joseph CHAMBAZ (1889-1965) en 1920 à Villeurbanne après sa démobilisation, Charles reconnait la paternité légale à travers l'acte de mariage. A partir de cet instant Raoul répondra au nom de Chambaz. 


Raoul grandit en région lyonnaise. Sa mère tient le Bar de l'Aviation, en face du terrain d'entrainement de Bron où son père est instructeur. Il se prédestine à une carrière dans l'hôtellerie, et après avoir fait l'école hôtelière de Lyon, il effectuera un stage de garçon de salle dans le palace du Negresco à Nice. 



Avant d'entrer pleinement dans la vie active, il lui faudra préalablement passer par la case du service militaire. Fort de l'influence paternelle et de son oncle, il rejoint le 105e d’aviation où il devient le chauffeur du Général Gerrier, 

Raoul, debout troisième en partant de la droite.
Raoul en permission a La Morte

Après son service militaire Raoul rejoint ses parents à La Morte (Isère) où ils ont ouvert l'Hôtel du Taillefer. On est dans l'entre-deux-guerres, et Charles s'investit dans la promotion des sports d'hiver, attirant des touristes de la région grenobloise avides de sensations fortes. 


Raoul, ski aux pieds vers la cascade de La Morte, et sur les pistes de la station

En 1944, dénoncés avec son père à la Gestapo comme soutiens à la Résistance, ils se cachent avec d’autres hommes de la région dans les bois avant l’arrivée des Allemands. Ceux-ci arrêteront toutefois Charles et mettront le feu à l'hôtel en représailles. Raoul, lui, trouvera refuge vers Fontagneu où habite sa future femme, Fernande FREYNET. 

Fernande Marguerite Rosa FREYNET est la fille ainée du tailleur de vêtements Aimé Justin FREYNET (1890-1954) et de Rosa BLACHE (1894-1933), qui vivent sur le plateau matheysin, dans le hameau de Fontagneu, en aval de Lavaldens. Fernande y est née le 28 novembre 1921. Son père vient d'être démobilisé après avoir était brancardier puis infirmier sur le front durant la première guerre mondiale. Une sœur, Renée, la rejoindra en février 1927. 

Après le décès de leur mère en 1933, les filles grandissent auprès de leur père, dans un environnement agricole de montagne. Elles s'occupent du bétail, principalement des moutons, les emmenant paitre dans les alpages, mais vont à l'école et sont donc instruites comme en atteste le certificat d'études obtenu avec la mention bien en 1933. 
Fernande, au premier plan, après une ascension du Taillefer avec des amis de Lavaldens... 
Raoul serait en noir au centre de la photo. Notez les tenues estivales!
Raoul, a gauche, lors d'une vogue en plein air... apres l'ascension.

Les détails de la rencontre entre Raoul et Fernande nous ont été partagés par ma grande tante, Renée: bravant le couvre-feu allemand, les jeunes de la région avaient organisé une vogue au village du Villard et Renée s'y était rendue initialement seule. Mais quand Raoul s'enquiert de sa sœur qu'il avait rencontrée lors de l'épisode de l'incendie de l'hôtel, elle s'empresse de retourner à la ferme pour revenir avec sa sœur. A la suite de cette rencontre sous les lampions, ils se marieront à la Libération, en Août 1945. 

A la fin de la guerre, Fernande rejoint son mari à La Morte. L'hôtel a été reconstruit, et même agrandit avec le soutien des habitants du village. Lors des Trente Glorieuses le tourisme alpin va reprendre son essor. L'Hôtel du Taillefer et ses quelques chambres sont pris d'assaut. D'autres hôtels font leur apparition dans ce qui est devenue la station de ski de l'Alpe du Grand Serre. Fernande gère le bureau de tabac de l'hôtel. Raoul a lui rejoint les Ponts-et-Chaussées du village, et assure pour EDF la maintenance du réseau sur le village. 

Leur fils unique, Bernard Chambaz, nait le 22 Mai 1946 à La Morte. Fernande n'aura pas d'autres enfants car après une fausse couche, le médecin zélé mais a priori peu doué a fait un carnage. Bernard côtoie l'école locale avec les autres enfants du village. C'est une classe unique comme c'est souvent le cas dans ces petits villages. L'hiver, il faut chausser les skis pour se rendre de l'hôtel, situé au hameau de La Blache, à l'école un petit kilomètre plus loin. 


Mais en 1956, devant les coûts de remise aux normes de l'hôtel, Charles décide de prendre sa retraite et de mettre l'hôtel en gérance avant de le céder quelques années plus tard. Il acquiert une maison au 12, rue Monge à Grenoble, dans laquelle la famille Chambaz va s'installer. 


Charles et Angèle font des allers-retours entre Champagneux (Savoie), La Morte et Grenoble où leurs familles sont distribuées. Quant à Raoul, Fernande et Bernard, ils s'établissent à temps plein sur Grenoble. Bernard ira au Collège Champollion puis au Lycée de Vaucanson. Fernande restera femme au foyer malgré de multiples talents hérités de sa famille: matelassier, tricot, couture, tailleur… Elle fera quelques ménages pour la directrice de la librairie Arthaud. Raoul a lui été transféré au parc des Ponts-et-Chaussées de la ville, où il devient le chauffeur de l'ingénieur-en-chef, Monsieur Garnier. 

Il avait hérité d’une Peugeot 402 familiale qui aurait dû servir pour conduire les clients à l’hôtel mais cette limousine est trop grande pour rentrer complètement dans le garage de la maison et dépasse donc sur le trottoir. Cette voiture est son outil de travail, et il sert de chauffeur à plus d'une personne comme en atteste ce courrier de l'Académie Polonaise des Sciences. 

J'ai personnellement un souvenir très vivace de cette maison de ville. Une façade blanche avec des volets de bois peints en un bleu-gris. Une haie coupée régulièrement à la main pour être tirée au cordeau ; des algarves sur un lit de galets de chaque côté du perron côté rue ; un petit jardin dessiné à l'arrière de la maison avec un noisetier et des hortensias permettant à quelques chaises de profiter de l'ombre à l'abri des regards ; un petit cabanon en bois dont on utilisait le stock de piquets comme des épées étant enfants ; enfin un potager qui se termine avec un mur gris donnant sur une barre d'immeubles, et au bout de l'allée centrale un tas de compost où les détritus organiques étaient mis à pourrir pour servir d'engrais. Il y avait des pots de verveine, des courges, des tomates… Je me souviens des carottes que j'aimais à sortir de terre avant de courir les nettoyer dans la cave dont le sol en terre battue sentait le renferme. Il y avait aussi dans cette pièce obscure et humide les bouteilles d'Orangina que l'on buvait en apéritif à chaque visite. Dans le garage, une Renault 6 blanche avec une boite de vitesse au tableau de bord avait remplacé la limousine dans les années 70. Elle sortait plus rarement, le grand-père lui préférant le vélo et la grand-mère les transports en commun. 


Mon frère et moi avons en effet passé pas mal de temps dans cette maison, notamment des dimanches et des mardis soirs avant d'aller les mercredis au centre aéré Clémenceau à quelques rues de là. J'étais subjugué par les carrelages du hall d'entrée qui formaient des séquences de formes florales stylisés. On passait notre temps à dessiner et faire des avions en papier que l’on lançait depuis le péron. On construisait des cabanes avec les coussins du canapé de velours orange, tout en étant intrigués par le vieux poste de radio de la taille d'un téléviseur qui trônait dans le buffet du salon mais ne marchait jamais. 

Au menu la grand-mère savait nous faire plaisir en cuisinant des Oreilles-D’Ane (gros raviolis à la pomme de terre ou aux épinards que l'on mange soit à peine égouttés soit gratinés) ou des ravioles (sortes de gnocchi en quenelles blanchies et cuites dans une sauce tomate maison). Quant au goûter, on se délectait de tranches de pain de campagne beurrées sur lequel se répandaient des copeaux de chocolat noir. Plus tard, Nestlé sortit des plaquettes de chocolat noir aux noisettes entières qui devint rapidement le choix indiscutable, avec le marbré Savane de Papy Brossard dont les moules en aluminium servaient ensuite à entreposer les noisettes du jardin que Raoul décortiquait patiemnent pour nous. 

Dans la cuisine, les grands parents possédaient une TV noir et blanc, mais pour la regarder c’était tout un rituel: il fallait d'abord la dévoiler car elle était sous une housse de tissu pour le protéger de la poussière, puis brancher un amplificateur qu'il fallait allumer cinq minutes avant l’heure de diffusion afin qu'il fasse chauffer les tubes cathodiques. Ce vieux poste ne pouvait recevoir que les trois chaines nationales… ce qui était frustrant car nos amis regardaient eux la toute nouvelle chaine, la 5 et ses dessins animés - on se sentait un peu en décalage. Mais cela nous permettait quand même de regarder, assis autour de la table de la cuisine, le film du mardi soir. Je me souviens d’avoir ainsi découvert Zorro, King Kong et de nombreux Westerns… 

Nous dormions au premier étage, là où l'arrière-grand-père, Charles, devait dormir quand il était de passage à Grenoble. Au-dessus du lit un interrupteur en forme de poire était suspendu. La chambre de Bernard était sous les toits. Bien qu'il ait quitté la maison depuis plusieurs années, sa chambre était restée intacte. Epinglés au mur, un poster jauni de Gérard Philippe dans son rôle de Fanfan La Tulipe et un portrait dessiné au fusain d'une actrice. Au même étage que cette chambre se trouvait le grenier et ses malles poussiéreuses qui renfermaient à nos yeux des trésors et plus certainement des vieux bouts d'étoffes non utilisées par Fernande lors de ses travaux de couture (un talent sans doute hérité de son père). 


À les entendre se chamailler en vieux couple j’avais enregistré quelques expressions. Or lorsqu’un jour ma maîtresse de maternelle m’a fait une remarque je ne crois pas qu’elle ait beaucoup apprécié qu’un gamin de 4-5 ans la traite en retour de « sorcière ». Il avait fallu que ma mère vienne me récupérer au piquet et elle a dû passer le message à qui de droit car ce terme ne fut plus jamais utilisé devant moi. 

Raoul et Fernande achetèrent dans les années 80 un petit studio à La Morte qui leur permettra de s'échapper de la ville, et d'aller se promener dans la montagne où tout avait commencé. Armés de leur bâton de marche, ils parcouraient sans relâche les sentiers et alpages, ramenant des sceaux de myrtilles, de framboises sauvages ou des champignons de leurs promenades sur les pistes ou vers les lacs. 

Pour leurs 80 ans, Raoul Chambaz et Berthe Delage soufflent les bougies au chalet 

Raoul, atteint d'Alzheimer, puis Fernande qui contracta Parkinson rejoindront l'Hôtel-Dieu de la Bajatière où ils vivront les dernières années de leur vie. Raoul y décèdera le 16 mai 2001. 

Article du Dauphine Libéré,
mentionnant "Louise Chambaz" 

mais se réfère bien a Fernande.

De son lit, Fernande pouvait voir par la fenêtre son Grand Serre et je garde encore de beaux souvenirs de nos discussions sur mes choix d’études, mes voyages, mon travail dans la publicité, ma rencontre avec Marie-Anne, notre mariage et notre départ pour Londres. Avec ses yeux bleus, perçants mais plein de tendresse, elle était curieuse de tout, même à plus de 80 ans. Je me souviens ainsi de son conseil de vie : « l’important c’est que tu sois heureux ». 

Elle décédera le 9 aout 2008 à Grenoble. 


Sources: 
Bernard Chambaz
Rene Meyer, nee Freynet
Guy Abonnel
Archives du Departement du Rhone et de la Metropole de Lyon  


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