2 février 2000

Rene Delage (1903-1992) et Denise Reby (1910-1993)

(Mise à jour: 12/11/2022)
Rene et Denise Delage en 1937 

 Auguste, Rene Delage est né le 7 avril 1903 à Orsennes, dans l'Indre. Il est le fils de Silvain Delage (1858-1936) et Francoise Micat (1862-1938). Mais comme il n’aimait pas son prénom il a choisi qu’on l’appelle de son second prénom. C'est donc sous cette dénommination que j'ai connu mon arrière-grand-père étant enfant, Rene.

Acte de naissance de Rene Delage

Lorsque René Delage épouse Denise Reby, le 6 février 1928, lui a 25 ans et elle, même pas 18. Elle était donc mineure. Denise Reby est en effet née le 24 février 1910 à Dun-Le-Paleteau (Creuse). Elle est la deuxieme de sept filles de Jean-Felicien Reby (1884-1970) et Marie Villard (1885-1944). Leur premier enfant, Annette nait le 17 décembre 1928, soit dix mois après leur mariage. Au total, Denise a eu quatre enfants et fait deux fausses-couches:
  • Annette (1928-2003) 
  • Jean (1931-2004)
  • Jacques (1932-1981)
  • Michel (1935-) 
La famille au complet en 1937
De gauche a droite: Jacques, Annette, Rene, Michel, Denise et Jean 

Quand ils se sont mariés, Rene et Denise étaient tous deux coiffeurs. Il se sont installés à Châteauroux pour y ouvrir au n°18 de la rue Diderot un salon de coiffure, auquel il avait adjoint un café, séparé d'un simple couloir. Ces commerces existent toujours aujourd'hui. Il semblerait que ce soit le couple qui ait etabli le salon de coiffure dans un local commercial qui était jusqu'alors utilisé par un marchand de bicyclettes. La famille louait un appartement rue Ledru-Rollin a quelques pates de maison de leur salon-cafe. Apres avoir revendu le café, le couple s'est focalisé sur l'activite de coiffure dont ils ont assure la croissance pendant l'entre-deux-guerres.
  
 1932 - Naissance de Jacques 
 1935  - Denise et René avec Marie Burat (épouse de Pierre Delage) 
De gauche a droite: Denise, Michel, Jacques, Rene, Jean, Annette et Marie

En 1937, Rene perd sa soeur ainee Marie-Ernestine Delage (née le 10 juillet 1887 à Malicornay et épouse de Paul Villeneuve) dans un fait divers qui avait fait la une de la presse nationale de l'epoque. Le 26 mars 1937, leur fils age de 28 ans, Marcel, pris d'une crise de folie, tua par balle ses parents, les deux domestiques, mit le feu a la ferme avant de tirer sur les personnes venant porter secours aux agriculteurs... S'en suivi une chasse a l'homme qui se termina par le suicide du jeune homme, dont le corps est retrouvé en plein champ, armé jusqu'aux dents. 
Rene Delage en 1937

Pendant la Seconde Guerre mondiale, René Delage n’a pas été appelé immediatement sous les drapeaux car, avec quatre enfants, il etait designe soutien de famille. Ainsi il a été reculé de plusieurs classes et la sienne a été l’une des premières à ne pas être mobilisée. Denise racontait – sans pouvoir dater exactement cet épisode - que pendant le conflit, ils avaient un véhicule qu’elle conduisait, même si elle n’avait pas de permis, et que, traversant la forêt de Châteauroux pour aller à Eguzon, elle prenait des soldats sur les marche-pieds de la voiture pour les aider à avancer.

Pendant la guerre, Châteauroux subit plusieurs bombardements. Pour protéger la famille, le couple envoie les enfants à la campagne dans differentes parties de la famille. Ainsi, Annette s’est retrouvée à Eguzon, chez ses grands-parents maternels, Félicien Reby et Marie Villard ; Jean et Jacques ont été placés à Chambord chez le frère de René, Pierre Delage et Marie Burat. Quant au plus jeune, Michel, alors âgé de 5 ans, il a été lui placé chez une sœur de René, Claire Delage et Gustave Blondet, près d’Argenton-sur-Creuse. Annette racontait que, pendant la Libération, ils avaient logé des soldats de la Division Leclerc chez eux.

La sœur de Denise, Blanche Reby (née en 1917 à Dun) avait décidé d’apprendre également la coiffure. Elle avait rejoint sa soeur à Châteauroux et habitait chez le couple. Or Blanche a été en quelque sorte bannie de la famille puisqu’on ne parlait jamais d’elle et qu’elle est partie habiter en région parisienne. Sans en avoir la certitude on peut penser qu’il y ait eu quelque chose à cette époque entre Rene et sa belle-soeur...  En tous cas c'est ce que la rumeur persistante laisse entendre.

Rene et Denise, 24 juillet 1949 

A la fin de la guerre, René et Denise vendent leur salon de coiffure de Châteauroux, et partent en train à Lourdes, seuls. Pour faire le point? Lors du retour, pendant la correspondance en gare de Toulouse-Matabiau, ils croisent une connaissance, un ancien marchand de vin de Châteauroux. Ce dernier, s'enquierant de leur presence loin du Berry, se voit repondre que le couple cherche à acheter quelque chose dans le Sud. Peut-être que le couple avait décidé à Lourdes de quitter Châteauroux pour tourner la page. 

Le negociant les informa qu'un hôtel-restaurant etait en vente à Narbonne, et ils deciderent d'investir. C’est comme cela que la famille quitte leur Berry historique, pour migrer vers le Languedoc. Un vrai deracinement pour les parents dont les racines remontent loin dans cette partie de la France, mais surtout pour les enfants... 

Selon Annette, ce serait des octobre 1945 que la famille est arrivée à Narbonne. Du haut de ses 18 ans, elle ne voulait pas quitter Châteauroux, sa vie de jeune fille, ses amies, mais meme si sa tante Madeleine proposa de la garder, René refusa prétextant qu’il avait besoin de tous ses enfants pour faire marcher la boutique. Jacques racontait lui que quand il était arrivé à Narbonne il n’arrêtait pas de pleurer. Il avait 13 ans. Le bâtiment était infesté de rats et à l’école les enfants se moquaient d’eux, les paysans du Berry, avec leurs sabots de bois (les méridionaux portaient des galoches).  

 L'hotel-restaurant était etabli dans les murs de l’ancienne mairie de Narbonne avant que celle-ci ne déménage dans le Palais des Archevêques. Une légende raconte d’ailleurs qu’il y aurait une statue en or sous l’escalier... Lorsque René et Denise Delage l’ont acheté, il s’appelait « La Poule d’Or ». C’est cette enseigne que l’on voit sur la premiere photo ci-dessous. Lorsqu’ils le mettront en gérance, au début des années 1950, le restaurant est devenu « Le Bec Fin ».
 Façade de l'hôtel-restaurant - 5, rue Benjamin Crémieux 

Durant un service, Denise fit une chute et se cassa la rotule. Les médecins doutaient qu’elle ne puisse remarcher. Mais dure a l'ouvrage, elle s’en est remise, et meme si elle avait souvent mal à la jambe, cela ne l'empecha pas de faire les marches. En effet, apres avoir mis le restaurant en gerance, Rene s'etait tourne vers la culture apres l'achat d'un terrain au bord du canal de la Robine, La Licune. Denise, elle, vendait la production de légumes sous les Halles de Narbonne. En 1956, il faisait tellement froid, qu'elle allait se réchauffer... dans les frigos des Halles qui étaient moins froid que dehors. Cette année là, tous les oliviers avaient gelé. 
Denise vendant des legumes aux halles de Narbonne (Mai 1952) 
La Maison de Licune 
 Le Jardin de Licune 

C'est a cette periode que les enfants s'emancipent. Annette ouvrira avec son epoux une charcuterie a Revel. Jean, lui, restera a Grenoble apres son service militaire dans les chasseurs alpins ou il fondera sa famille avec Berthe. Jacques travaille dans une pâtisserie à Sérignan ou il rencontre sa future epouse, Lucette, en 1955. Quant a Michel, il prend avec son epouse la gestion du restaurant familiale. Lors du mariage de Michel et Liliane, Jacques avait une 4CV toute neuve. Pour qu’on ne la lui vole pas (on verra dans le portait de Jean Delage, que c'etait sans doute premonitoire), ils s’étaient mis à quatre pour la soulever, et la transporter a l'interieur a mains nues dans le couloir de l’hôtel... 

A la fin des années 1960, Michel et ses parents se brouillent et Michel part s'etablir avec son epouse à Pamiers où il a acheté la pâtisserie du Trianon, rue Charles De Gaulle. 

L'hotel continue neanmoins de jouer un role central dans la vie de la famille. Narbonne s'impose alors comme une destination de "vacances" ou les enfants apprennent les rouages de la vie. Michelle et Monique, les filles ainees de Jean, y passerent par exemple plusieurs etes entre 1966 et 1968 pour aider leurs grands-parents. Cette experience de vie, responsabilisante mais harassante, a laisse des souvenirs tres forts aux adolescentes. 

Pendant que Rene travaillait a la vigne, Denise, elle, s'occupait a l'hotel et les filles aidaient a son entretien. Elles commencaient des 5h du matin avec les petits déjeuners des ouvriers puis enchainaient avec le menage des chambres. Le repas de midi était préparé par René mais il fallait encore faire la lessive du linge de maison, des draps, des serviettes... et l'étendre. Quand tout était sec et repassé, il restait a plier les serviettes et dresser les tables. 

A midi il y avait toujours quelques clients qui dejeunaient a l'hotel, des pensionnaires ou de personnes qui venaient voir de la famille hospitalisée (l'hôtel se trouvait à côté d'une clinique). Les apres-midi, il se pouvait que certaines chambres de l'hotel etaient louees à des prostituees, que Denise appelait devant les enfants des "tireuses de cartes". En soiree, Michelle restait parfois en salle où, après avoir servi les repas, elle jouait de l'accordéon tandis que Monique etait en cuisine avec mon grand-père a faire la plonge ou preparer les repas du lendemain. Bref, elles travaillaient jusqu’à minuit environ, et elles travaillaient dur. En deux mois de travail, elles avaient peu de temps libre pour profiter de la Mediterranee. Monique se souvient n'avoir pu, en tout est pour tout, aller qu'un après-midi à la plage en deux mois, et encore sur la lourde insistance de leur grand-mère. Le samedi matin, Michelle transportait la recette de la semaine jusqu’à la banque. Denise disait toujours que l’on ne se douterait pas qu'une enfant aurait de l’argent, alors que des hoteliers seraient des cibles ideales.

Rene et Denise avec leur automobile 
Cedric dans les bras de Denise et Rene (1976)
Denise et Rene, entoures aux extremes de leur fils Jacques et de son epouse Lucette. La soeur de Denise, Jeanne, et son mari complete le lot.
Août 1978 à Nalliers (Vendée)
La maison Avenue Kennedy, a Bezier, achetee apres la vente de l'hotel, en 1979 
Rene et Denise Delage en 1980

Rene etait plutot calme, introverti, mais dur avec ses enfants. Je me souviens de son regard percant pose entre des sourcils broussailleux et un sourire constant. Denise avait un temperament bien trempe comme evoque dans le profil de ses parents. Loin de la femme soumise, elle avait un caractere original, determine, tantot excitee tantot drôle... Elle ne pouvait pas laisser indifferent, ce qui a du lui servir dans sa carriere d'hotelliere et de commercante. Il en etait de meme avec sa famille. 

Elle jouait avec ses petits-enfants en imitant Nounours de la serie televisee Bonne Nuit Les Petits, avec un manteau en fourrure jete sur le dos. Elle leur donnait des “crottes en chocolat” avant de s'endormir. Mais dans le meme temps, elle trouvait que ses petites-filles Grenobloises etaient trop turbulantes, "piquees a l'essence de sautrelles", que Marie-Helene etait "un mec” et  comparait Rene sur son velo a un "crapaud sur une boite d'alumettes". Bref, elle n'avait pas la langue dans sa poche et un language... imagé. 

Cela correspond aux quelques souvenirs qu'il me reste de ce couple... 

Rene et Denise Delage en 1990

A chaque passage en Languedoc, il etait imperatif de rendre visite a nos arrieres-grands-parents dans leur maison, avenue Kennedy a Beziers. Comme nous venions souvent a la Toussaint, Denise faisait souvent la blague qu'en guise de ballade digestive il faudrait aller visiter sa "residence secondaire", a savoir le tombeau familliale qu'elle avait deja "reserve" au cimetiere de la ville... Et ou son fils Jacques, decede en 1981 suite a un cancer, etait enterre. Je pense qu'elle nous aimait bien, et on avait quasiment a chaque fois droit a un pate aux pommes de terre au menu du repas de midi, leur specialite que j'adorais. Mon grand-pere apportait le vin de la collective agricole qui avait repris la vigne familliale, et on diner dans la salle a manger attenant a la cuisine avec une vaisselle de circonstance.

Toutefois ces repas etaient un exercice de patience pour les enfants de dix ans que nous etions, d'autant que la maison etait gardee par un enorme berger allemand, un brin agressif, qui ne nous permettait pas de sortir nous defouler a l'exterieur si nous tenions a notre integrite physique. Cela contrastait necessairement avec nos passages chez leur belle-fille, Lucette, a quelques rues de la. Avec nos yeux d'enfants, sa maison apparaissait comme un immense terrain de jeu avec de jeunes cousins que l'on admirait, et des placards de K7 videos a regarder jusqu'a avoir les yeux qui nous sortent de la tete (on s'enchainaient les films de Bruce Lee, de La Planete des Singes, de la Guerre des Etoiles... pendant que les adultes discutaient dans le salon).

Et pourtant je conserve des souvenirs chaleureux de ces visites, sans doute conscient qu'il n'est pas commun pour un enfant de connaitre ses deux arrieres-grands-parents.

Rene deceda le 26 octobre 1992 a Beziers a l'age de 89 ans. Denise lui survivra un an jusqu'au 15 novembre 1993, quand elle s'eteindra a Villeneuve-les-Beziers a l'age de 83 ans. Ils sont tous les deux enterres dans leur residence secondaire.

Sources: 
Alain Delage
Michele, Monique, Marie-Helene Delage

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