Pierre Francois Picchiottino nait le 27 decembre 1905 a La Mure. Il est le second fils de deux immigres italiens, Gaetano Pietro Picchiottino (1872-1949) et Maria Marguerita Recrosio (1880-1964), qui ont quitte leur village piemontais de Ronco Canavese pour s'installer dans cette ville miniere iseroise au debut du siecle.
Lors du recencement populaire de 1906, la famille Picchiottino vit au 15 rue de Cotte Rouge. Le pere est alors patron d'une petite entrerprise d'etamage qui employait deux apprentis d'origine italienne, eux aussi domicilies a la meme adresse. Les trois premiers enfants sont nés a ce moment la, mais la famille comptera en tout cinq enfants:
- Dominique Edmond (1902-1968)
- Marie (1903-1991)
- Pierre (1905-1977)
- Lucia (1908-1992)
- Renee (1922-2007)
Selon les circonstances, les prenoms de la fratrerie oscillent entre leur expression francisée et l'italienne. Ils sont d'ailleurs enregistrés a la fois en France et en Italie comme le documente cet extrait du registre civil de Ronco Canavese ou l'ensemble des enfants a été consigné en une fois, sans doute lors d’un voyage dans la famille:
Sportif assidu, Pierre rejoint le club de rugby local avec lequel il jouera durant les années 20, 30 et 40. Malgré ses 16 ans, il débute dès 1921 avec son frère Edmond même si celui-ci ne jouera pas très longtemps. Pierre lui persiste et il est notamment mentionné par la presse locale pour sa prestation au cours d'un match contre l'A.S. Grenoble le 16 octobre 1921 que La Mure remporte 12 à 3. Il sera également sélectionné dans l'équipe d'athlétisme le 24 juin 1922 pour y disputer le championnat des Alpes. Dans les années 20-30, le Racing Club Murois joue en 3ème série et sera plusieurs fois Champion des Alpes de 1924 à 1929 et même finaliste du championnat de France. Le 24 novembre 1929, Pierre marque un superbe essai et le RCM bat Chambery 19 à 0.
Le club avait démarré en 5ème série au début du siècle et sera finaliste en 2ème série dans les années 30 et 50, avec une breve apparition en 1ère série en 1931. Il faut cependant savoir qu'ils durent passer au rugby à XIII fin 1933 apres avoir ete suspendu un an par la Federation pour mauvaise conduite envers un arbitre. Ce changement de sport conduit aussi a l'obligation de changer de nom, et le Rugby Cub de La Mure devient le Rugby Club Matheysin. Première rencontre 16 décembre 1934 avec une victoire sur Grenoble (18 à 8) puis le 24 décembre sur Villeurbanne 42 à 0. A compter de 1935 le rugby se jouera de nouveau à XV, la sanction ayant été executee. Pierre jouera sa derniere rencontre en 1946, prenant sa retraite sportive a 41 ans.
Quant a elle, Marguerite Ruelle nait le 10 septembre 1906 a La Mure. Elle est la fille de Contantin Ruelle (1872-1939), tailleur d'habits a La Mure et de Lucie-Celestine Pichand (1871- >1917). Elle est la benjamine de la famille qui en 1906 reside au 6 rue des Fosses. La fraterie comprend ainsi:
- Benoit (1899), classe 1919 matricule 1813. Ne a Lyon, il s'est etabli a Lancey apres demobilisation.
- Marcel (1904)
- Georges (1905) qui epousera Jeanne Rosso
Marguerite n'apparait pas sur le recensement de 1906, elle a donc du naitre apres que celui-ci ait ete realise. Le 14 septembre 1921, a La Mure, Constantin epousera en seconde noce Marie-Celine Chemin qui selon toutes vraisemblances fut fidele au stereotype de la maratre, peu aimable avec les enfants du premier mariage, si l'on en croit les propos rapportes par Marguerite a ses enfants. Pour Marie-Celine aussi, il s'agit d'un remariage puisqu'elle avait epouse en 1908 Léopold Auguste Marin.
Quelques annees plus tard, la famille a demenage a quelques metres de leur domicile de 1906. Pour faire place a la ligne de chemin de fer Gap-La Mure, un carrefour est amenage. La maison qui faisait l'angle est abattue, les rails sont posées en 1912 et la ligne inaugurée en 1932 (avant d’être retirés en 1951).
Constantin en profite et ouvre la boutique de tailleur Ruelle qui donne desormais sur cette artere principale qu'est la Rue Du Breuil. La famille habite juste derriere la boutique.
Pour l'heure, je n'ai pu retrouver d'information concernant leur adolescence ou leur rencontre, mais etant quasiment conscrit et vivant a quelques centaines de metres l'un de l'autre, il n'est pas etonnant que les chemins de Marguerite et Pierre se soient croises, sans doute sur les chemins de l'ecole ou sur l'artere principale de la ville qu'est la rue du Breuil.
A cette epoque au dela des commerces ce sont les bars qui fleurissent. Il faut dire que les mineurs qui s'echinent a extraire le charbon des sous-sols matheysins ont besoin d'un peu de distraction, et sans doute d'un peu plus encore de remontants.
Le 30 avril 1930 Pierre epouse Marguerite a La Mure. D'apres l'acte de mariage, Pierre est alors qualifie de chauffeur de voiture tandis que la mariee est a cette date sans profession. Les parents Picchiottino ainsi que Constantin Ruelle sont presents et consentants. A cette date encore, les deux familles resident au meme endroit qu'en 1906.
Une fois maries, Marguerite et Pierre ouvrent un cafe a l'emplacement de l'actuelle marbrerie Luyat. Il est voisin de l’atelier de tailleur de Constantin Ruelle que l'on devine a gauche des photos ci-dessous issues de films documentaires sur la ville de La Mure. Le Cafe Ruelle, rue du Breuil, devient aussi en 1937 le siege de l'association “Classe 1926” visant dixit “à reserrer les liens de camaraderie existant deja entre tous les conscrits de cette classe“.
Café Ruelle en 1955, a droite l'atelier de tailleur et la maison des
Ruelle
Le meme carrefour un an plus tard 1956
Emplacement du cafe Ruelle, 2020.
En 1939, les parents de Marguerite decedent a un mois d'intervale. Constantin, tout d'abord, le 16 janvier 1939, puis son epouse en Fevrier. Les grands-parents ne connaitront donc que l'ainee de la famille, Pierrette. Le couple accueillera en effet trois enfants. Pierrette nait le 2 mars 1932 a La Mure. Jean-Claude suivra le 10 septembre 1940 (decede en mai 2021 a Sens) et enfin, a la Liberation, Nicole voit le jour a 5 novembre 1945.
Mais 1939 c'est aussi les premices de la Drole de Guerre, avec une France qui tente de faire front a l'avancee nazi avec des moyens, et des strategies, depasses.
Pierre s'est porte volontaire et a rejoint le 14eme Bataillon de Chasseurs Alpins et en avril 1940, le Sergent-Chef Pierre Picchiottino est en Bretagne, se preparant avec son unite a partir pour la campagne de Norvege. Plusieurs cousins et amis issus de la Matheysine sont du voyage au sein de ce corps expéditionnaire, si bien qu'a plusieurs reprises Pierre croisera des visages familiers sur ce front nordique. Il tient d'ailleurs un carnet de bord ou ces moments de répit sont consignes au jour le jour. De cette prose d'une soixantaine de pages voici quelques morceaux choisis :
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Jeudi 18 avril 1940:
"Les clairons sonnent le reveil a 5h30. Dans le cantonement les hommes couches sur la paille s'etirent, gromellent, et, pour ne pas faire mentir le sang francais, rouspetent a qui-mieux-mieux, mais n'en font pas moins ce qu'ils doivent faire : c'est a dire mettre une derniere main a leurs sacs bergames et marins, ranger la paille qui leur a servi de lit, donner un coup de balai pour ensuite prendre chacun son barda et aller se ranger en bon ordre a la place que leur a assignee la veille leur chef, et cela malgre la pluie qui tombe a torrent. A 7h30 l'embarquement a lieu sur les camions qui doivent nous transporter a Brest. Nous y arrivons vers les 10h et on nous dirige ensuite vers les quais ou nous prenons un repas froid vers les 12h. La pluie s'est arretee, aussi pour beaucoup d'entre nous qui n'avons jamais vu l'ocean nous en profitons pour nous promener un peu. (...) Bientot vient notre tour d'embaquer a bord du Paul Doumer, et c'est sous une pluie battante et un froid de chien que nous embarquons. Enfin tout s'est bien passe. Une Batterie d'Artillerie Coloniale nous accompagne. Nous quittons la terre de France a 20h exactement, au son de notre fanfare a laquelle repond la musique de la Marine de Brest. Tous, sans exception, nous sommes sur les ponts. L'impression que l'on ressent est inimaginable. Les larmes, lentement, coulent sur tous les visages. Chacun rentre en lui-meme et pense a ceux qu'il laisse derriere lui. Les vivas de la foule qui est venue assister a notre depart nous etreignent. On se sent oppresse, pret a fondre en larmes. Une parole maladroite suffirait mais tous autant que nous sommes, nous nous taisons. (...)"
En 1940, le commandement du navire commercial "Président Doumer" rejoignent les Forces Navales Françaises Libres. Le navire est alors utilisé comme transport de troupes. Armé par un équipage de Français Libres, sous pavillon britannique, il a été torpillé le 30 octobre 1942 par le U 604 (Cpt Horst Höltring) dans le convoi SL 125, à 151 milles au nord de Funchal.
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Vendredi 19 avril 1940:
"(...) Les visages sont un peu plus detendus et la gouaille francaise reprend ses droits. Accoudes aux bastingages du navire on admire cet ocean si nouveau pour nous. (...) Nous navigons entre l'Angleterre et l'Irlande jusqu'a l'heure de la soupe. Pendant celle-ci, grosse emotion, un bruit de canonade qui secoue le navire se fait entendre, suivit aussitot d'eclatement de bombes. L'alerte est donnee. (...) Dans les couloirs tous les Chasseurs que nous croisons sont munis de leur ceinture de sauvetage, nous en faisons autant, puis nous allons aux nouvelles. Sur le pont, les commandements se croisent, aussitot suivis du bruit de la canonade. Nous sommes enfin renseignes : vers 17h15 un hydravion anglais a decele deux sous-marins allemands qui se voyant decouverts ont essaye de nous torpiller. Heureusement sans nous atteindre. L'hydravion et nos deux torpilleurs sont aussitot passes a l'attaque. Ils ont reussi a en couler un a l'aide d'une bombe sous-marine, l'autre reussissant a fuir en direction des cotes irlandaises. (...) C'est ainsi que nous, Chasseurs Alpins, nous avons eu notre bapteme du feu, en mer, grace il faut le reconnaitre a l'audace de deux temeraires sous-marins allemands venus jusqu'aux abords des cotes anglaises pour essayer de nous couler. Pendant le reste de la nuit, tout a ete calme."
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Dimanche 21 avril 1940:
"(...) Dehors la mer gronde. J'ai ferme le hublot par ou le vent s'engouffrait par rafales. Pour ainsi dire seul sur cette immensite, je me rememore mon cher passe. Quand le retrouverais-je? Dieu seul le sait. L'image de ma femme, de ma petite Kiki, ne me quitte pas. Je les revois toutes deux pendant les bons ou les mauvais moments, l'une toujours souriante, l'autre avec ses moues d'enfant gatee, suivant les circonstances. (...) En ce moment je pense a toi, a ma Kiki, a celui que nous attendons et que je ne connaitrais peut-etre jamais... malgre moi, les larmes me viennent aux yeux. Ne plus vous revoir, non cela est impossible. Dieu ne le permettra pas, je vous aime tant que cet amour me protegera. Mais en prevoyant le pire, peut etre un jour liras-tu seule ces pages ecrites bien loin de toi, sache bien et toujours que ce sera avec ta chere image que je m'en irais dans l'au-dela, du pays d'ou l'on ne revient pas. Sois courageuse, eleve nos enfants dans le devoir et l'honneur."
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Jeudi 2 mai 1940:
"A Salangsverket. Beau temps, soleil. Gare aux avions maintenant que nous sommes reperes. En effet, a 2h du matin l'alerte est donnee. Depuis nous sommes debouts. Inutiles de mentionner que nous ne nous deshabillons plus, nous sommes continuellement sur le qui-vive. Depuis l'apparition des avions les heures de sommeil se comptent. Heureusement que je tiens a jour mon carnet de route car je ne savais plus ou nous en sommes dans ce satane pays ou la nuit "brille" par son absence. Journellement il nous arrive par des raffiots des blesses norvegiens. Beaucoup sont morts en debarquant. Ils reprennent aussitot le chemin de leur pays natal, enveloppes de leur drapeau national. Par un officier norvegien blesse on vient d'apprendre la perte de 3 navires norvegiens, coules par l'aviation allemande. Parmi eux un navire hopital qui a ete mitraille a plusieurs reprises en rase motte, des blesses impuissants ont recu jusqu'a cinq balles sur leur lit de souffrance. Trois medecins dedaignant la mitraille se sont fait tuer aupres de leurs blesses plutot que d'abandonner leur poste. (...)"
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Mardi 4 mai 1940:
"(...) Le sort en est jete, nous partons a 17h30, destination inconnue. Pour partir on emporte le strict necessaire, le reste est tasse dans notre sac marin. Je fais appeler Mathieu Louis pour lui faire certaines recommendations au cas ou il m'arriverait malheur car je me doute ou nous allons, et d'une poignee de main nous nous separons. (...) Le commandant Paris, un brave celui-la, faisant partie de l'etat major du colonel Bethouard, nous accompagne. C'est lui qui nous apprend que l'on marche sur Narvik. (...) Nous qui nous plaignons lorsque nous etions dans les Alpes, c'etait de la 'gnognotte' en comparaison. Il faut voir ces chemins a peine traces, defonces par les bombes, bordes d'un cote par la montagne et de l'autre par les eaux du fjord, vraiment il n'y a rien de si lugubre. Tout le long du parcours nous croisons des charettes a deux roues d'emigres, trainees par de jolis petits chevaux nerveux genre arabes. Pauvres gens, ou vont-ils ainsi? le savent-ils seulement? (...)"
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Colonne de Chasseurs Alpins (source: internet) |
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Jeudi 16 mai 1940:
"(...) Sur le versant oppose, en face de nous, Narvik, adosse a une longue chaine de montagnes enneigees ou serpente la ligne de chemin de fer qui relie Narvik a Loulea ou se trouve le minerais de fer suedois, cause de notre presence ici. Dans le courant de l'apres-midi, nous avons assiste a un combat aerien entre avions anglais et allemands. Aucun d'eux n'a ete abattu, malgre les prouesses des pilotes des deux cotes: descente en vrilles, en feuilles mortes, plongees en piquet, puis remontant, piquant droit dans le ciel dans un vrombissement formidable. C'est beau malgre le resultat, quel qu'il soit, on arrive presque toujours a ce que tout homme de coeur reprouve: La Mort. (...)"
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Dimanche 19 mai 1940:
"J'ai passe une tres mauvaise nuit. Le froid est vif. Mes pieds a moitie geles me font cruellement souffrir. Essayer de dormir sans quitter les chaussures, il ne faut pas y compter. Je me suis donc dechausse pour dormir, quoi? Une heure et quart de 2h a 3h15. Le mal de pieds et le froid m'ont reveille. Pas sans mal, je me suis rechausse. Les pieds me brulent, je ne peux qu'a peine les poser a terre, aussi je me suis rendu au poste de secours le plus proche. Comme medicament, on m'a donne de la vaseline et pour ma cheville enflee: 2 cachets. A la section, sur les 40 hommes que nous etions, nous restons 25 et encore nous sommes tous plus ou moins eclopes. (...)"
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Mercredi 22 mai 1940:
"12h15 tout le monde est a son poste, l'aviation ennemie est signalee. Tout d'abord deux avions volant haut dans le ciel laissent dans leur sillage une longue trainee de fumee blanche. Que font-ils donc? Nous nous apercevons bientot que ces lignes de fumee tracent exactement nos positions, depuis nos 1eres lignes jusqu'a l'embarcadere de l'Ile de Sverg, Sont-ils bien renseignes ces Messieurs, c'est a n'y pas croire. Leur travail de reperage et tracage accompli, les deux avions disparaissent rapidement. Que va-t-il se passer? Nous l'apprenons bientot. Dans le lointain on entend le vrombissment des avions . Ils sont nombreux et viennent sur nous a tire d'aile, suivant les meandres de fumee blanche laissee par les deux premiers avions. Ils sont par groupe de trois, en triangle, la pointe en avant. Il executent une ronde de reconnaissance en 'enfants sages', ensuite ce n'est plus du tout la meme musique. La ronde infernale commence. En passant sur nous en rase motte, rasant les arbres a les toucher, ils nous mitraillent de leur mieux, pour prendre de la hauteur si tot apres, car les canons et mitrailleuses contre-avions des tropilleurs anglais qui croisent continuellement dans le Fjord de Narvik les obligent a etre plus prudent lorsqu'ils arrivent sur l'embarcadere qu'ils veulent detruire a tout prix pour nous couper tout chemin de retour. Ils ne cherchent pas l'economie de munitions durant leur ronde affolante, le bombardement de l'embarcadere et la mitraille de nos positions font rage. Le pauvre village ou se trouve l'embarcadere ne doit etre plus qu'un amas de cendres. Enfin apres 2h30 de bombardement ils reprennent le chemin du retour, a cours de munitions. C'est terrible et surtout demoralisant. A chaque instant on s'attend a etre atteint soit par une bombe soit par une balle, aussi lorsqu'ils eurent epuise leurs munitions et qu'ils reprirent le chemin du retour, un ouf de soulagement s'echappa de toutes les poitrines. L'appel par groupe, ensuite par section, ont lieu: aucune victime a deplorer. C'est vraiment un miracle (...)"
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Samedi 25 mai 1940:
" (...) Nous commencons a progresser lentement, en fouillant le terrain jusqu'aux premieres maisons que nous visitons suivant les regles : en commencant a les encercler et a les visiter ensuite. Rien dans celles-ci, leurs habitants les ont evacuees. Nous continuons notre progression jusqu'aux maisons suivantes, ou durant la fouille de l'une d'elles nous decouvrons deux femmes enfoncees dansune espece de citerne. Nous les relachons car elles nous paraissent inoffensives. Notre but n'est plus eloignes, une demie heure nous suffit pour l'atteindre sans anicroche. Assitot arrive je fais installer mes deux FM face au ravin d'en face ou est retranche l'ennemi, en prevenant mes deux chefs de groupe de rechercher immediatement la liaison entre mon chef de section a droite, et le Sous-Lieutenant Gabrielle a gauche commandant la 3eme section de notre compagnie. Pendant que nous etions occupes a nous installer, nous fortifier sans nous preoccuper de nos arrieres puisque nous en venions, de grands cris se font entendre suivi aussitot du tac tac tac des mitraillettes allemandes nous tirant dans le dos. Ils sont de partout, ils nous entourent dans un cercle de moins de 20 m de rayon. Dans notre camp c'est un afffolement indescriptibles car tous ou a peu pres s'etaient demunis de leurs armes et sac pour pouvoir travailler a l'aise. Pour ma part, arme de mon revolver que je ne quitte jamais, je fais face aux plus proches, dechargeant mon chargeur dans leur direction. En ai-je touche? Je ne sais, mais leur elan est brise, ils se sont laisse tomber a terre pour eviter mes balles s'ils ne sont pas deja touches. De mon cote, desarme a mon tour, n'ayant pas le temps de recharger mon arme sur place sans me faire descendre, je m'applatis aussitot au sol, rampant, sautant, j'essaie de rassembler le plus d'hommes possibles. (...) Mon attention est soudain mise en eveil par le craquement de branches seches : serais-ce l'un des notres qui cherche a nous rejoindre? Non, car au meme moment se dressent a moins de 10 metres deux boches armes, l'un d'une mitraillette qu'il tient dans le bras droit, l'autre de son Mauser. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'ecrire, plus prompt qu'eux, j'ajuste rapidement et tire par deux fois, en premier lieu sur le porteur de la mitraillette que j'ai le bonheur de voir s'ecrouler, aussitot je dirige mon arme sur le second qui a deja l'arme epaulee, et par deux fois je presse la gachette. Mouche encore, car lui aussi tombe. Vraiment je ne me croyais pas si bon tireur au pistolet, peut-etre que la chasse y est pour beaucoup. (...) Sans cesser de veiller je consulte tout le monde d'essayer de faire une trouee en direction de nos lignes avec le peu de munitions qui nous restent. Tous acceptent. Je repartis donc deux voltigeurs a droite, deux a gauche, le FM en tete et moi fermant la marche. Nous formons ainsi un carre dont le centre est occupe par les chasseurs non-armes soutenant les blesses. Nous foncons droit sur nos lignes prets a vendre cherement notre vie si nous sommes attaques car nul parmi nous ne tient a etre fait prisonnier. (...)"
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Mercredi 29 mai 1941:
"(...) Maintenant un mot sur les legionnaires qui veritablement sont l'elite de l'armee francaise. Peu de troupes au monde peut les egaler en bravour, courage et abnegation. Ils se moquent de tout, surtout de la mort qu'ils narguent et bravent en souriant. Gare a ceux qui leur tuent leurs chefs qu'ils venerent. Ils n'ont de cesse, coute que coute, que lorsqu'ils ont aneanti ceux qui sont responsables de leur mort. (...) Les legionnaires ont ensuite debarque une compagnie entiere qui presque toute a ete aneantie, mais loin de reculer, le peu qui restait a tenu ferme en attendant du renfort qui n'a pas tarder a arriver, et c'est ainsi qu'appuyes par les canons des huit navires de guerre anglais, ils se sont rendu maitres de Narvik qu'ils ont conquis de haute lutte."
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Parcours de Pierre Picchiottino lors de son evasion dans la France occupee |
Trois mois plus tard Margueritte met au monde leur fils Jean-Claude a La Mure. Le 15 juillet il est officiellement demobilise et retourne a la vie civile.
Son Livret Militaire corrobore les informations glanées precedement, mais nous apprend que Pierre a aussi recu la Croix de Guerre avec étoile d'argent pour ses faits de guerres.
En l'absence des dossiers militaires toujours consignes, je n'ai pu trouver plus d'informations concernant la fin de la guerre pour le couple mais l'on sait que la famille s'elargira encore a la Liberation quand Nicole nait le 5 novembre 1945.
A la fin du conflit, la famille desormais au complet retrouve le civil. Employe de mairie, puis cadre aux services des eaux, Pierre sera aussi le Capitaine des Sapeur-pompiers de la ville de 1946 a 1956, tandis que Marguerite continue de gerer son estanquet.
Pierrette, ayant epousee Claude Roudil originaire de Nimes, va s'installer dans le sud de la France au debut des annees 50. A douze ans, Jean-Claude quitte La Mure pour la rejoindre et aller au college a Nimes. A sa sortie, en 1956, il rejoindra le cabinet d'expert comptable de son beau-frere avant d'etre mobilise en 1960 pour partir a Tizi-Ouzou avec le 121e Regiment d'Infanterie. En 1955, Nicole rejoint elle-aussi sa soeur en Avignon ou Pierrette et son mari viennent de s'installer. Nicole fera sa 6eme et 5eme dans la Cite des Papes avant de revenir a La Mure pour finir ses etudes secondaires, puis ses etudes universitaires a Grenoble.
Marguerite avec Marie-Anne en 1977
Apres leur retraite, le couple se retire Aux Angles (Avignon) et font construire sur le terrain attenant a celui de leur fille ainee, Pierrette. Pierre ne vit pas forcement bien ce deracinement et l'eloignement de ses origines, de ses amis. Il decedera en mars 1977 quelques jours avant la naissance de Marie-Anne. Marguerite lui survivera dix ans, avant de s'eteindre, elle aussi, dans le sud de la France, le 10 février 1987.