Note: Pour ce portrait breton, je m'en remets au travail genealogique et documentaire du cousin de Guillaume Hemery, Michel Guyomar. Malheureusement celui-ci est decede il y a quelques annees, mais ses archives m'ont ete transmises par sa fille, Anne, et son frere Louis. Les elements ci-apres sont donc largement a son credit. Merci.
Naissance dans une Bretagne a forte mortalite
Mathurin Guyomar est né le 2 novembre 1884 à Collorec, dans le hameau de Kérandouaré, situé sur la route qui mène à Plonévez où la famille Guyomar a longtemps vécu. Il est le fils de Jean Guyomar (1859-1894) et Anne Le Borgne (1859-1895) cultivateurs a Collorec.
La maison de famille existe encore de nos jours, même si elle ne sert plus que de remise.
On peut imaginer que la maison a été construite ou acquise par le grand-pere de Mathurin, puis transformée pour héberger une deuxième famille, celle et Jean et Anne quand ils se sont mariés. Dans sa première version une porte centrale en ogive donnait accès à toute la maison. Il y a desormais deux portes...
Mathurin a une sœur cadette, Catherine, née en 1888. On les voit ici alors qu’ils ont 18 et 14 ans. Lui est un gaillard robuste. Il a les cheveux blonds et les yeux clairs. Il porte un costume traditionnel, mais déjà singulièrement simplifié. La tenue des hommes laissera rapidement la place à la tenue de ville. La tenue des femmes survivra plus longtemps. Catherine porte la coiffe de Collorec.

Mathurin et Catherine Guyomar en 1902
Ce sont des petits paysans nés dans une famille de condition moyenne. L’exploitation n’est pas très importante cependant la famille est propriétaire d’une maison plutôt grande pour l’époque. Leurs parents Jean et Anne vont mourir très jeune, Jean en 1894 et Anne en 1895. Ils seront élevés par leurs grands-parents, Mathurin et Jeanne-Marie.
Marie-Françoise Hourmant nait le 29 octobre 1885, elle aussi au bourg de Collorec dans les maisons qui font face à l’église. Ses parents, Jean-Louis Hourmant (1856-1892) et Marie-Francoise Le Borgne (1860-1942) sont commerçants. Ils tiennent un petit magasin qui sert a la fois d'épicierie et de cabaret. Deux ans plus tard, son frere Guillaume nait. Cependant, alors que Marie-Francoise et son frere n'ont respectivement que 7 et 5 ans, leur pere decede. Nous sommes en 1892, et l'annee suivante Marie-Francoise Le Borgne se remarie avec Yves-Jean Martin, cultivateur au Cosquer, autre village de Collorec. Ils auront ensemble deux enfants, Marie Anne et Michel. Françoise Le Borgne vivra âgée et survivra longtemps à sa fille. Elle deviendra avec les ans la vénérable Grand'Mère du Francen. Elle est encore présente sur la photo faite en 1943 à l'occasion l'ordination de son petit-fils, Michel.
Alors qu'à cette époque beaucoup d’enfants restent encore sans aucune instruction, n'apprenant ni à lire ni à écrire, Marie et Guillaume fréquentent l'école et recoivent une bonne education. La tante de Yves-Jean Martin, Supérieure au couvent de Carhaix, va s'occuper de la scolarité de la petite Marie et de son frère.
Sur les deux actes de naissance des futurs epoux, on note la presence de Jean-François Hourmant, le frère de Jean-Louis, comme témoin. Dans ce petit monde de la campagne bretonne, les deux familles, à n’en pas douter, se connaissaient et entretenaient des relations amicales. Pas étonnant que leurs enfants se soient unis.
La rencontre
En ce tout début de XXème siècle, la vie à la campagne est difficile. Par temps de pluie, il est impossible d'acceder a la ferme de Kérandouaré tant il y a de boue (c’était encore vrai dans les années 50). Les maisons sont inconfortables : Les sols sont en terre battue, l’électricité attendra encore cinquante ans, l’eau courante à l’évier tout autant. Le chauffage est assuré par la grande cheminée de la pièce centrale. Les autres pièces ne sont pas chauffées. Il n'y a ni salles de bain, ni WC dans la maison. L’eau chaude n’est pas disponible, même dans les bourgs ou les milieux aisés.
Pour aller au bourg, il n'y pas encore de voitures, pas de vélos, pas de chars à bancs non plus, seules les fermes riches en ont un et la ferme des Guyomar n'en est pas une.
Alors Mathurin qui aime bien aller au bourg descend à pied quand il fait beau. La route est agréable. Elle n'est pas large - pourquoi d'ailleurs le serait-elle, il n'y passe que des charrettes? Elle est juste empierrée et bordée de talus. Quand il est plus pressé, ou quand il doit ramener des courses, il descend avec le cheval qu'il monte à cru, ou avec la charrette de l'exploitation. Il doit se rendre a Collorec, afin d'acheter le pain pour sa mère, le tabac pour lui et les autres hommes du hameau. C'est aussi l'occasion de boire un coup avec les garçons de son âge, et aussi d'aller à la messe le dimanche matin.
C’est là à la sortie de la messe qu’il rencontre Marie avec qui il a joué pendant toute son enfance. Ils ont grandi sans se perdre de vue puisque leurs parents sont amis et les voilà maintenant jeunes gens. Il a 17 ans. Elle en a 16, et aide pendant son temps libre dans l'épicerie-café que tient sa mère. Les regards se font plus tendres, des compliments sont chuchotés, les mains restent l’une dans l’autre, des baisers furtifs sont échangés. Leurs premiers rendez-vous les conduisent de fest-noz en Pardon, l'idylle fait son chemin.
Marie Hourmant, agee de 25 ans
Et un beau jour, les voilà mariés. C’était le 2 juillet 1905. On ne possède pas de photo de leur mariage. L’acte de mariage ci-dessous en tiendra lieu:

ACTE DE MARIAGE DE MATHURIN GUYOMAR ET DE
MARIE FRANCOISE HOURMANT
L'AN MIL NEUF CENT CINQ, le deux du mois de juillet à huit heures du matin, par devant Nous, Corbel Jean-François, maire, Officier de l'état-civil de la commune de Collorec, canton de Chateauneuf-du-Faou, arrondissement de Chateaulin, sont comparus en notre Maison commune, Guyomar Mathurin, cultivateur, célibataire, âgé de vingt ans, domicilié à Collorec et y né, le deux novembre mil huit cent quatre vingt cinq, fils mineur de feu Jean Guyomar, décédé à Collorec le vingt huit février mil huit cent quatre vingt quatorze et de feue Anne Le Borgne, décédée à Collorec le vingt juin mil huit cent quatre vingt quinze, assisté de Mathurin Guyomar, son grand-père, sans profession, domicilié à Collorec, ici présent et consentant, d'une part,
Et Hourmant Marie-Françoise, cultivatrice, célibataire, âgée de dix neuf ans, domiciliée à Collorec et y née, le vingt neuf octobre mil huit cent quatre vingt cinq, fille mineure de feu Jean Louis Hourmant, décédé à Collorec le onze septembre mil huit cent soixante douze et d'existante Françoise Le Borgne, cultivatrice, domiciliée à Collorec ici présente et consentante, d'autre part.
Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux et dont les publications ont été faites devant la principale porte de notre Maison commune, les deux dimanches consécutifs onze et dix huit juin dernier.
Aucune opposition à ce mariage ne nous ayant été signifiée après avoir été interpellés de déclarer s'il a été fait un contrat de mariage, les futurs époux et les personnes qui autorisent le Mariage, ayant répondu négativement;
Vu les extraits dûment légalisés, constatant les naissances et les décès dont il vient d'être parlé, pièces qui ont été déposées entre nos mains et qui seront annexées au présent; faisant droit à la réquisition des parties, après leur avoir donné lecture de toutes les pièces ci-dessus mentionnées et du chapitre VI du titre V du Code Civil, intitulé du Mariage, avons demandé au futur époux et à la future épouse s'ils veulent se prendre pour mari et pour femme. Chacun d'eux ayant répondu séparément et affirmativement, déclarons, au nom de la loi, que Guyomar Mathurin et Marie Françoise Hourmant sont unis par le mariage.
De quoi nous avons dressé acte publiquement en présence de
1° Le Borgne Jean, âgé de quarante neuf ans, profession de cultivateur, domicilié à Collorec, oncle au contractant.
2° Guyomar Marie Anne, âgée de quarante quatre ans , profession de cultivatrice, domiciliée à Collorec, tante au contractant.
3° Hourmant Jean Louis, âgé de vingt neuf ans, profession de commerçant, domicilié à Collorec, cousin à la contractante.
4° Sizun Jean Louis, âgé de cinquante cinq ans, profession de cultivateur, domicilié à Collorec, voisin aux contractants et après lecture du présent acte les contractants, la mère de la contractante et les témoins ont signé avec nous, le grand-père seul a déclaré ne le savoir faire.
Les jeunes mariés ont 20 et 19 ans, ils ne sont donc pas encore majeurs. C'est un dimanche, et l’heure de la cérémonie - 8 heures – peut surprendre. Le Maire Jean-François Corbel ayant déclaré les époux unis par le mariage, les époux et les témoins signent l’acte : Mathurin et Marie en premier lieu. Tous les deux ont une bonne maîtrise de l’écrit. En revanche, Mathurin, le grand-père du marié, déclare ne pas savoir signer. Françoise Le Borgne-Hourmant, bien que n’étant pas témoin signe cependant. Enfin on voit apparaitre sur cet acte Jean-Louis Sizun. Contemporain de Jean, il s'avere etre le Grand-Pere du futur epoux de l'ainee du couple... Dans le monde rural breton comme ailleurs, les liens entre familles sont legion.
Qu’ont fait les jeunes mariés de leurs premières années? On ne le sait pas. Mathurin habite à Kérandouaré, Marie au Cosquer chez son beau-père. Leur premier enfant Mathurin ne naîtra qu’en 1908. En 1909, ils vont devenir les exploitants de la ferme du Francen (la date est incertaine ). La ferme du Francen à Landeleau est la propriété de la famille Le Borgne que Françoise et Jean Louis ont tenue ensemble mais que celle-ci est contrainte d'abandonner à la mort de son mari en 1892. Ils auront trois enfants:
- Mathurin (1908-1939), pere de Michel et Louis
- Marie-Anne (1909-1993), mere de Guillaume Hemery
- Michel (1919-1999), reverend-pere
chanoine, missionaire en Haiti.
Collorec pendant la 1ere Guerre Mondiale
En 1914 quand la guerre éclate, Mathurin a déjà 30 ans et deux enfants. Il est cultivateur donc utile au ravitaillement du pays. Il a peut-être bénéficié d’un sursis. Mais il est parti quand même. La photo en tete de ce portrait date de 1917. On y voit la famille a cette date. Lui est en poilu, il a une tête sympathique, le poil clair, ras et déjà rare, la moustache fournie, le regard bienveillant. Je ne vois aucune tête dans sa descendance qui fasse penser à la sienne. Elle, ce n'est déjà plus la petite Marie, elle a pris de l'importance! Elle a deux enfants, mais elle a pris aussi des rondeurs. A ce moment, ils ont 33 et 32 ans, les deux enfants 9 et 6 ans.
Mobilise le 24 fevrier 1915, Mathurin va rejoindre le 2e regiment d'infanterie coloniale de Brest puis le 6e colonial de Lyon avant de reintegrer son regiment de Brest. Il sera evacue le 23 novembre 1916 avant d'etre propose pour une pension permanente de 100% pour Tuberculose Pulmonaire en juillet 1917. Il a en fait été contaminé par les gaz de combat, et s'il revient de la guerre en 1918, il n'a plus que deux ans a vivre. Il decedera en effet en 1920 et connaîtra à peine le dernier de ses enfants, Michel, né l'année précédente.
Marie-Anne Guyomar et son frere Mathurin, environ 1920.
Une femme veuve ne peut pas tenir seule une ferme, à plus forte raison avec trois enfants jeunes. Marie-Francoise Guyomar-Hourmant va donc quitter le Francen où elle sera remplacée par sa demi-sœur cadette, Marie-Anne qui a épousé Job Clech. Ses deux freres, Guillaume Hourmant et Michel Martin, n’ont pas la fibre paysanne et ne souhaitent pas reprendre. Le premier sera, entre autre, négociant en gros de pommes de terre et Maire de Landeleau ; le second, après de nombreux petits métiers (il a même été laitier dans la région parisienne) sera tailleur à Collorec.
Marie viendra vivre à Loch Conan dans la maison qu'elle fait construire et deviendra pour son entourage Marie « Ty Nevez » (la nouvelle maison). D'où tenait-elle l'argent nécessaire à cette construction ? Personne aujourd'hui n'est capable de le dire. A l'image de sa mere, Marie va y ouvrir une épicerie-bistrot et y élever ses enfants. Elle leur inculque la meme education qu'elle a elle meme recu enfant, ce qui est encore rare dans les campagnes. Elle a dû se contenter de maigres revenus, car ses seuls clients étaient, sans doute, les habitants de Loch Conan et des fermes alentour. Elle allait se réapprovisionner dans une charrette qu'elle menait seule jusqu'au Huelgoat.
Mais le mauvais sort s’acharne. Marie meurt en 1931, elle a alors 46 ans ses enfants 23, 22 et 11 ans. Si Mathurin et Marie-Anne sont autonomes, Michel sera élevé par sa grande sœur et protégé par son oncle Guillaume et sa tante Catherine.
Source: Michel Guyomar, Memoire des Hommes, Geneanet.