10 avril 2024

Japon: Vamos Tokyo's

En ce jour, nous prenons notre dernier train japonais puisque le Shinkansen va nous conduire de Kanazawa à notre destination finale, Tokyo. On clôt ainsi par la terre la boucle initiée deux semaines plus tôt par les airs. Un dernier regard aux cerisiers en fleurs et on prend la direction de la capitale. La connexion ferroviaire nous fait longer la côte avant de traverser les Alpes que l'on découvre encore enneigées à la mi-avril. Le passage par Nagano nous rappelle aussi que ce pays a accueilli plusieurs olympiades, d'hiver comme d'été. Peut-être un nouveau projet de voyage de ski à planifier ? 

Une fois à Tokyo Station, on se rend compte de la différence entre les autres villes et cette mégacité. Cela grouille et pour une fois, ce n'est pas dû à des touristes venus capitaliser sur une monnaie locale faible. Il nous faut un peu de temps pour nous orienter dans ce chaos, et comprendre comment fonctionne le métro. D'ailleurs, avant de s'y engouffrer avec nos valises, on décide de déjeuner avec nos premiers sushis sur tapis roulant - ou comment se laisser submerger par la tentation et la gourmandise, une petite assiette après l'autre. Marie-Anne commence certes, à ce point du voyage, à saturer du poisson cru, mais elle ne pourra pourtant qu'avouer que l'on a plutôt bien diversifié les plaisirs culinaires lors de ces deux semaines. 

Rassasiés, on se dirige vers Shibuya, et notre logement que nous avons choisi proche de cette âme de la vie nocturne afin de montrer un autre visage du Japon aux enfants. En ce début d'aprés-midi, le taxi se faufile cependant dans les ruelles aux néons éteints à cette heure de la journée. Les vestiges de la nuit précédente ont depuis longtemps disparu et les premiers de celle à venir n'ont pas encore commencé à se matérialiser. On est en fait dans cette respiration du quartier au passage clouté le plus connu du monde, entre deux frénésies… Le feu est à l'orange et nous, nous avons pu nous installer dans notre appartement. 

Il est cependant temps de reprendre la route car on doit se rendre au Yokohama Stadium, en grande banlieue, afin d'assister à notre match de foot étranger habituel. Ce soir, les Marinos locaux accueillent le Gamba d'Osaka, bizarrement la même équipe qui avait joué contre Hiroshima lors de notre passage dans cette ville. On arrive à nos places dans l'obscurité, sur la musique des Misérables. Et l'expérience culturelle débute alors. Les 15 000 spectateurs dans ce stade qui peut en accueillir cinq fois plus laissent présager d'une faible ambiance mais il n'en est rien, bien au contraire. Les deux groupes de fans se répondent, jouant des drapeaux et de la voix pour encourager leur équipe au rythme des grosses caisses. Par moments, grand silence, comme pour laisser le staff médical remettre d'aplomb un joueur à terre. Pas un bruit, pas un cri vindicatif. C'est assez étonnant, presque autant que le message encourageant les spectateurs à rester assis au coup de sifflet final pour ne pas déranger les autres fans qui veulent profiter pleinement de la soirée. Car si Yokohama s'est imposé 2-0, le match n'est pas fini par à cet instant. Ses joueurs font d'abord une haie d'honneur aux vaincus qui rejoignent les vestiaires pendant que l'intégralité de l'équipe des Marinos entame un tour d'honneur devant des parapluies tricolores qui tournent dans les mains des spectateurs. Ils s'arrêtent alors devant les Ultras, les saluent, prononcent un discours de remerciement pour leurs encouragements. On célèbre l'homme du match qui a son tour remercie le public. Tout le monde se salue une dernière fois et les joueurs peuvent enfin quitter le terrain pendant que les fans ramassent leurs détritus afin de laisser l'enceinte propre à leur départ. 

Ravis de cette nouvelle expérience, plus culturelle que sportive, on fait doucement le chemin inverse jusqu'à Shibuya, qui s'est réveillé à l'heure où nous allons nous coucher. Tom est un peu perturbé par cette foule qui parle fort, chahute gentiment entre deux bars. Arthur, lui, regarde avec des yeux d'adolescent cet autre Japon qu'il n'a pas encore l'âge de côtoyer.

9 avril 2024

Japon: traditions et modernite de Kanazawa

La nuit fut clémente et chacun a pu profiter d'une grasse matinée avant de partir découvrir la ville. Il est 11 h quand on quitte l'hôtel pour nous rendre au marché que nous avions entraperçu la veille. Le ventre creux et entouré de ces poissons frais, on a du mal à résister à un déjeuner anticipé. On pointe notre tête dans un restaurant de sushis et on y dévore, malgré l'heure, nos bols de poisson cru et nos soupes miso.

Repus, on s’oriente ensuite vers le château qui est à quelques rues de là. Si la plus grande partie du château a été détruite par le feu au 17e siècle, une section des remparts, et surtout les jardins, ont été restaurés. On commence d'ailleurs par jeter un œil au Gyokusenan avec ses arbres contorsionnés, ses collines douces, ses ponts de pierre… La vue est apaisante. On dirait un tableau végétal tant chaque angle est photogénique. C'est certes très artificiel et sculpté par la main de l'homme, mais c'est aussi très naturel. Surprenant.

Nos pas nous guident à travers les remparts de la forteresse désuète dont les murs blancs contrastent avec le rose des cerisiers et le noir des nuages. La pluie n'est pas très loin et les températures ont fortement baissé après les récentes précipitations. Nous enjambons les anciennes douves qui ont été modernisées en une 2 fois 2 voies par l'urbanisation de la ville, et nous voici dans Kenroku Ken, le jardin aux six dimensions. Les paysagistes locaux s'attachent aujourd'hui encore à maintenir la végétation selon six préceptes de perfection chinoise en matière de jardinage : espace, isolement, eau, ancienneté, vue panoramique et ingéniosité humaine. La brise s'est jointe à la partie et a rendu la promenade dans cet espace végétal beaucoup moins agréable que cela aurait pu être le cas par grand soleil. En revanche, elle nous permet de voir les pétales s'envoler tels des flocons de neige dans ces forêts de pins. C'est un peu magique en soi.

Il est temps pour nous de basculer dans l'autre, Kanazawa, celle de la modernité. Direction donc le musée d'art contemporain à deux pas de là. Ce bâtiment circulaire tout en verre est entouré d'œuvres, mais la plus connue est en son sein : une piscine de l'artiste Leandro Erlich qui permet aux visiteurs de se promener sur et sous l'eau. Malheureusement, à la suite d’un récent tremblement de terre dans la région, cette installation n'est pas accessible au moment de notre passage. Il est vrai que la région a été impactée par un séisme il y a juste trois mois. Et si on ne voit pas l'impact directement dans la ville, notre hôtel accueille encore des personnes impactées, leur donnant le gîte gracieusement, tandis que le gouvernement leur donne le couvert. Dommage donc pour la piscine, mais totalement compréhensible. Nous nous dirigeons alors vers notre prochaine destination, le musée de DT Suzuki, maître zen largement responsable de la démocratisation de ce courant de pensée dans l'Occident. Né à la fin du XIXe siècle, il a fait une partie de ses études en Californie au début du XXe, avant de travailler au rapprochement de la pensée zen et des différents courants de psychologie. Le bâtiment lui-même est une œuvre d'art, avec ses lignes épurées, ses matériaux bruts, ses espaces de travail ou de réflexion. Chaque coin et recoin est pensé. Personnellement, j'ai adoré cet espace de simplicité à l'impact magistral. Une belle source d'inspiration. 

Pour conclure cette journée, Marie-Anne avait réservé un superbe petit restaurant au nom de Tile (carreau en anglais). Pour ce dîner, à nouveau à la convergence de la tradition et de la modernité, nous pénétrons par une porte basse dans un ancienne maison de thé. Puis, après avoir retiré nos chaussures, nous montons nous asseoir à l'étage, chacun face à une boîte servant de table individuelle. Assis sur des coussins à même le sol, les genoux non habitués souffrent. Mais l'arrivée du menu nous change les idées. Le principe consiste à choisir une demi-douzaine d'ingrédients que l'on ajoutera nous-mêmes à notre bol de riz vinaigré. Chaque ingrédient est servi avec des micro-herbes dans des verrines carrées, formant in fine une mosaïque de carreaux colorés sur notre boite. 

Belle clôture poétique de ce séjour à Kanazawa qui nous laisse sur une impression difficile à décrire. La ville est pleine de surprises, mais il faut lui donner la chance de les livrer. Comme ce quartier de villas Samouraï qui a survécu au temps et à la guerre et dont sa visite, nous donne une idée de ce que le quotidien des locaux était lors de la période Edo, mais que l'on peut facilement rater.

8 avril 2024

Japon: découverte de Kanazawa

Aujourd'hui, on innove. On va se rendre dans une partie du pays que, ni Marie-Anne ni moi, ne connaissons : la côte occidentale de Honshu. On quitte donc notre machiya aux murs de bois brûlé et on s'oriente une dernière fois vers la gare de Kyoto. Le temps d'identifier la voie depuis laquelle notre train Thunderbird partira et nous voici sur le quai, trépignants à l'idée de poursuivre notre chemin vers une terre inconnue. Difficile de réaliser que cela fait qu'une semaine que nous sommes arrivés sur le sol nippon. Ça semble être tellement plus, tant on a vu de choses nouvelles, goûté de nouveaux plats, senti de nouvelles odeurs…

On prend donc un premier train express qui nous fait longer le lac Biwa avant de prendre une correspondance à Tsuruga avec un Shinkansen qui nous amènera à destination. Ce parcours nous permet de traverser le pays de part en part, et de nous rendre compte que les cerisiers en fleurs commencent vraiment à être visibles de partout. On constate aussi que lorsque l'on sort de la conurbation de Kansai, le pays est principalement rural, avec ses petits hameaux épars comme autant de pointillés entre la nature et la ville.

Le sentiment en arrivant à Kanazawa est mitigé. Les brochures touristiques nous ont vendus une ville médiévale à l'image de Kyoto, mais encore relativement protégée des flux de touristes. Mais on arrive dans une ville plutôt moderne, avec son quartier d'affaires entourant la toute nouvelle gare Shinkansen. Pas de cavalier, de femme en kimono ou de buffle tirant des charrettes… ça attendra ? D'ici-là on traverse la ville avec notre caravane de bagages jusqu'à notre hôtel. On en profite pour parcourir le marché couvert de Omicho avec ses étales de poissons et crustacés frais livrés quelques heures auparavant au port de la ville. 

On opte, une fois n'est pas coutume, pour un déjeuner de curry, qui de légume, de porc ou de poulet. Chacun commande son propre plat avec les variantes de viande ou de types de curry disponibles. Je décide donc d'opter pour un curry noir au poulet et me ravise sur les conseils du chef en prenant un degré d'épice de 5 sur 10 (plutôt que 7 comme je l'avais initialement envisagé). Bien m'en a pris. Le chef avait quand même demandé au reste de la famille d'être indulgent avec moi car ça allait être compliqué… En effet, j'en transpire encore. La pluie qui semble faire son apparition quand on se déplace est la bienvenue pour nous faire descendre de l'échelle de Scoville.

Les bagages déposés, on part à l'Est pour découvrir le Higashi Chaya District. Il s'agit en effet d'un quartier médiéval préservé, dans lequel on peut voir des maisons de thé en bois, alignées les unes à côté des autres. C'est là, à l'époque, que les geishas officiaient. Poésie, chant, danse, thé… elles divertissaient les notables de la ville. A défaut de femmes grimées, nous nous laissons tenter par des crêpes aux fruits et un mochi à l'orange de la taille de mon poing, tous les deux délicieux. Puis ce sont les incontournables photos de cerisiers en fleur qui bordent les rives des cours d'eau. Mais comme la pluie continue de tomber, on décide de rentrer à l'hôtel pour y diner et se coucher tôt. Demain sera l'occasion de visiter le reste des attractions de la ville.




7 avril 2024

Japon: Kyoto la philosophe

Dernier jour à Kyoto et programme chargé car on a l'ambition de visiter les temples situés à l'Est de la ville. Notre logement est à nouveau super bien connecté, car il nous suffit d'un bus pour nous rendre exactement là où l'on voulait commencer notre journée : par la fin. 

Afin d'éviter la cohue annoncée en cette période de floraison, on a en effet décidé de suivre l'itinéraire recommandé par la plupart des guides, mais à l'envers. On prend donc notre élan à Ginkakujimaedo avec une première dose de sakura et de temples zen (la combinaison gagnante, et récurrente, de la journée). On enchaine ainsi les jardins zen, les paravents de papier, les rocailles et autres bambous sans jamais s'éloigner très loin du Chemin des Philosophes, ce sentier en bord de canal qui est couvert à cette période de l'année d'arbres en fleurs. On va dire bonjour au petit cousin du pavillon doré, le pavillon d'argent. Ginkaku-Ji n'est certes pas lui recouvert d'argent, mais il peut se targuer d'un superbe jardin, couvert de mousses et de petits pins torturés. A Honen-Ji, ensuite, on se perd volontairement dans un dédale de pièces en tatami, où ces chambres pour dignitaires s'entre-connectent au gré de portes coulissantes.

Pour déjeuner, on opte pour un comptoir à sushi, où toute la famille peut s'asseoir face au chef, un petit papy à la grosse voix qui annonce chaque plat comme on annonce les gares de train. A ses côtés, sa femme fait le va-et-vient entre la salle et la cuisine, tandis que ses petites-filles aident au service en ce dimanche. S'il semble avoir vécu, il reste stupéfait que l'on reprenne un second service après avoir englouti sa première fournée de poissons crus… 

Une fois rassasiés, nous reprenons notre digestion philosophique et notre route vers les prochains temples. A Nyakaoji, on tombe sur des toriis dans la forêt à proximité d'une petite cascade où les fidèles viennent se purifier. A Eikando, on parcourra à nouveau des jardins secs où les jardiniers se sont appliqués à dessiner les emblèmes de leur école dans les gravillons entourés de mousse. 

Il est presque 16h30 quand on atteint enfin la fin (ou le début c'est selon) de notre itinéraire. Cependant, si on arrive bien avant la clôture du temple Nanzen Ji pour a priori clore cette journée par la visite tant espérée de son jardin Hojo, nous trouvons porte close car nous avons raté la dernière entrée… On est donc gentiment éconduit, et nous décidons de nous retourner vers le quartier de Gyon que nous avions découvert deux jours plus tôt. Nos pas nous ramènent d'ailleurs dans ces mêmes rues pittoresques, soit étroites et gorgées de restaurants, soit avec des cerisiers bordant un canal. On finira dans le premier groupe et après avoir diné tôt, il nous faut rentrer pour boucler nos valises. On part demain pour Kanazawa, sur la côte Nord de Honshu… Tom espère secrètement que l'on visitera moins de temples lors de cette prochaine étape.

6 avril 2024

Japon: au petit bonheur la Kyoto

Nous résidons dans ce que les Japonais appellent une machiya, maison traditionnelle en bois sur deux étages. A rez-de-chaussée, la réception avec l'accès surélevé par rapport à la rue qui permet d'entrer dans la maison en se déchaussant, et en laissant ses chaussures hors de vue. On entre donc pieds nus car la totalité du logement est couverte de tatamis. Il y a aussi un petit jardin intérieur qui sert de puit de lumière. On atteint la pièce unique de l'étage par un escalier escarpé en bois qui n'est guère moins vertical qu'une échelle. On rejoint ainsi les appartements, comme on dirait en Occident, mais il s'agit en fait d'une salle unique et multi-usage : pièce à vivre le jour, devenant salle à coucher lorsque la nuit tombe et que les futons se déplient. On y trouve aussi le tokonoma, un espace d'exposition ou l'on met en évidence une pièce qui nous est chère (statuette, composition florale, souvenir ou offrande…). Comme nous ne faisons que dormir dans notre machiya, nous la laissons en configuration nocturne, tirant les duvets sur les futons au petit matin avant de quitter les lieux.

Aujourd'hui, on part dans le Nord-Ouest de la ville, un peu rebuté à l'idée de croiser la foule de touristes dont tout le monde nous a avertie. On commence par Kinkaku-Ji, et son temple doré se réfléchissant dans un étang. Surprise, la cohue n'est pas au rendez-vous et l'on peut profiter de cette icone à peu près simplement. Pourtant Marie-Anne comme moi avions un tout autre souvenir des lieux. On se rappelait une longue approche dans des jardins paysagés, avec des pins taillés en tige unique notamment. Cela avait magnifié la découverte du pavillon lors de notre première venue. Simple déformation de la mémoire ? On comparera ces notes avec celles capturées en 2008. 

On enchaine ensuite avec Ryoan-Ji, et son jardin de pierres zen dans lequel 14 rochers ont, semble-t-il, échoué et sont désormais battus par des flots de gravillons qui ondulent à leur contact. Son véritable jardin, actuellement très fleuri avec ses sakura printanières, ne fait pas honte à ce temple d'ailleurs. 

Nous continuons notre chemin en traversant le complexe Taizoin. C'est un ensemble de temples de l'école bouddhiste Zen Raizen. Il est tellement vaste que cela nous prend une demi-heure pour la traverser de part en part sans pour autant visiter quoi que ce soit. A nouveau, sans être seuls au monde, il n'y a pas foule… Nous décidons donc de pousser notre chance du côté d'Arashiyama et sa forêt de bambous. Et en effet, cette forêt combinée aux cerisiers en fleurs tout du long de la rivière avoisinante ont attiré le gros de la foule. Ça parle chinois, français, coréen, italien, russe… et même japonais. Il faut dire que c'est le weekend et que les vacances de printemps battent leur plein dans la plupart des pays.

Qu'à cela ne tienne, on prend des chemins moins usités, et on parvient quand même à profiter un peu de ces endroits oniriques. Et comme on traine, on voit les rues se vider, bus après bus, des touristes en kimono de location. Ainsi, on peut enfin humer cet air printanier aux senteurs fruitières sans se faire bousculer par des visiteurs pressés de mettre à jour leurs réseaux sociaux. On rejoint finalement notre maison et pouvons aller nous coucher avec le sentiment du devoir accompli, ou presque. Il nous reste en effet une dernière journée à Kyoto, et on ne devrait pas être déçus tant elle est chargée d'attractions. Les Etoiles seront-elles encore avec nous demain ?

5 avril 2024

Japon: Hello Kyoto

Cela faisait plusieurs jours que l'on étirait les journées pour en tirer pleinement parti, aussi pour cette première journée à Kyoto, on a décidé de la jouer plus cool. Réveil sans forcer, petit déjeuner sans méditation… Il est presque 11h quand on quitte les lieux pour se rendre au bout de la rue et visiter le château Ni-Jo qui abritait en son temps le Shogun

C'est en ce lieu que ce dernier avait pris le pouvoir à l'Empereur avant de lui restituer quelques décennies plus tard. Entre temps les daïmios, les chefs de clans, avaient pris l'habitude de se faire la guerre entre eux. C'est sans doute la raison pour laquelle le Shogun qui avait supervisé personnellement la construction du palais avait fait installer un parquet un peu spécial sur lequel on ne peut marcher sans que les planches ne sifflent à la façon des rossignols. Parfait pour signaler l'arrivée d'un visiteur, bienvenu ou non. Les salles du palais sont magnifiquement décorées de panneaux peints. Ici des pins enneigés, là des saules pleureurs, et là des tigres… librement inspirés de croquis ramenés de Chine ou de Corée, attendu que cet animal n'a jamais vécu dans l'archipel. On est aussi ravi de voir que les cerisiers ont enfin commencé leur floraison dans la ville. Les jardins sont blancs et roses, et un peu noir de monde du coup. 

Après avoir fait le tour du propriétaire, nous nous dirigeons vers le marché de Nishiki. Là, les étales s'enchainent, offrant à chacun le choix de son repas. Le petit déjeuner ayant été léger, on se laisse tenter : brochettes de poulpe, noix de St Jacques au BBQ, pinces de crabe, tempura de poulet, de seiche ou d'asperge, poulet frit, mochi à la fraise et en dessert… un steak de bœuf wagyu dont Arthur rêvait depuis des mois. On flâne et se laisse errer dans les ruelles du marché aux marchandises exotiques. C'est d'ailleurs génial de voir les garçons jouer le jeu. 

Mais à jouer les critiques culinaires, on en oublie le temps. Et les temples que l'on pensait visiter ferment leurs portes devant nous. Cela n'a que peu d'importance, car nous compensons allègrement cette déconvenue en tombant sur une ruelle au milieu de laquelle coule un ruisseau bordé de cerisiers en fleurs. Un peu plus loin, c'est un parc tout entier qui a revêtu sa tenue printanière. Des femmes en kimono en parcourent les allées pendant que les familles pique-niquent en attendant le coucher du soleil. 

Et s'il nous fallait un clou à ce spectacle, il y en eut deux : en entrant dans le quartier historique de Gyon, nous croisons dans les dédales deux geishasapprêtées qui se pressent furtivement pour aller exposer leur art à leur clientèle. Deux apparitions quasi-surréelles, et qui nous permettent d'expliquer aux garçons les stéréotypes occidentaux associés à ces concubines d'un soir qui ne sont en fait pas des filles de joie, mais des musiciennes, conteuses, poètes, danseuses, chanteuses, préparatrice de thé… En tous cas, c'est une case bien rare que nous venons de cocher sur notre liste nippone. Gageons que demain nous serons capables de décoller plus tôt afin de mettre pleinement à profit les autres attractions de la ville. Moins de culinaire ou de cul-ture, et plus d'architecture et de spirituel dans cette myriade de temples ancestraux.

4 avril 2024

Japon: dans les brumes de Koya San




La pluie qui nous avait accompagnés lors de notre trajet la veille nous aura bercé toute la nuit. Il est 6h30 quand on se réveille. Définitivement frais, mais pas forcément dispo… Et pourtant, nous suivons le moine venu toquer à notre porte pour rejoindre la salle de prière. A la queue Leleu, nous avançons dans les coursives de bois et de panneaux coulissants en papier blanc. C'est l'occasion d'apprécier les peintures murales et le jardin de pierre sensés inspirer la paix de l'esprit. A vrai dire, à cette heure, l'esprit n'est pas très rebelle chez moi… Il m'assoit docilement aux côtés des autres hôtes pour écouter le moine principal nous expliquer en anglais l'histoire du village, de son temple et le déroulé de la cérémonie. 

On apprend ainsi que Kobo Daishi est parti du Japon à l’âge de 31 ans pour aller étudier le bouddhisme en Chine en accompagnant une mission diplomatique. Sept ans plus tard, il est de retour dans son pays natal et après avoir enseigné dans les rues de Kyoto, la capitale d'alors, il se met en quête d'un lieu pour établir un temple et enseigner à des cohortes de moines. Le village de Koya San, reclus à plus de deux jours de marche de la capitale, est situé sur un plateau entouré de 8 pics comme autant de pétales sur une fleur de lotus. Cela lui semble l'endroit idéal. D'ailleurs il s'y est tellement plu, qu'après y avoir développé ses monastères, il décida de se faire emmurer dans une grotte pour entrer en méditation éternelle… Plusieurs centaines d'années plus tard, des moines curieux de ce qui avait pu advenir de leur maitre, ouvrirent la grotte et l'auraient, selon la légende, trouvé vivant en pleine méditation… 

Au moment de suivre les instructions du moine de cérémonie, nous n'avons pas les mêmes ambitions que Kobo Daishi. Une petite vingtaine de minutes suffiront, et ensuite en route pour la salle à manger afin d'y prendre notre repas végétarien matinal. Toutefois, sa légende nous a intrigués, et une fois rassasiés, nous nous dirigeons vers la zone de Koya San qui s'est muée au gré des siècles en un gigantesque cimetière dans lequel les fidèles souhaitent se faire enterrer pour être au plus proche de leur leader spirituel. On parcourt les travées parsemées de stèles centenaires recouvertes de mousse et de fougères. Quelques milliers de stèles, même, de toutes tailles et ambitions. On y croise aussi des petits Bouddha emmitouflés dans des bonnets de laine ou portant des tabliers rouges. On se promène ainsi dans la brume avant de reprendre notre route qui devrait nous ramener à Kyoto en fin de journée. 

Entre les deux, il faut à nouveau enchainer le funiculaire, quatre trains et un taxi… Mais au bout nous attend, on le sait, l'un des moments forts du séjour. D'ailleurs, cela commence par l'ouverture de la porte d'entrée de notre logement qui révèle une ancienne maison, toute en bois, tatamis et panneaux de papier… S'il n'y avait pas de télévision, on se croirait dans un autre temps. On est ravi d’autant que l'on va passer plusieurs jours dans ce logement à quelques pas du palais Ni-Jo. Après environs quatre heures dans les transports, on dépose donc nos valises, lance une ou deux lessives et on se dirige vers le restaurant de ramen au coin de la rue. Vu la queue, on aurait dû comprendre qu'il y avait quelque chose de spécial au menu… C'était bien le cas. Certes il y avait bien des nouilles en bouillon, mais elles étaient servies dans une huile enflammée qui était du plus bel effet pour les touristes que nous sommes. C'est avec cet incendie culinaire que notre journée s'éteint aussi…


3 avril 2024

Japon: en route pour Koya San

Ce jour nous embarquons pour un nouveau périple. Pas moins de quatre trains ainsi qu'un funiculaire et un bus seront nécessaires pour rejoindre Koya San, petit village de montagne et épicentre du bouddhisme au Japon. Au gré de cette journée, on découvre la campagne nippone, avec ses villages agricoles dont certaines résidences ressemblent à des temples avec leurs toits de tuiles grises et leurs arbres taillés au cordeau. Le constat est que les cerisiers commencent juste à fleurir et que la pleine floraison semble plus tardive cette année. On verra si cela nous sera favorable dans la durée. Pour l'heure, les arbres sont encore un peu nus. 

En guise de village, Koya San est plus un grand complexe bouddhiste avec une kyrielle de temples offrant le gite aux pèlerins et voyageurs qui souhaitent découvrir leurs pratiques. Il faut du coup s'adapter à leur emploi du temps. A 17h30, on passe donc à table dans le Fudoin Temple, pour un festin de roi végétarien. Puis direction le onsen qui est une découverte pour les garçons… Et pas forcément une activité qu'ils avaient hâte d'essayer, pudeur adolescente oblige. Mais le plaisir réparateur d'un bain d'eau chaude, dans un espace certes public mais déserté les convainc du bienfait d'une trempette à la japonaise. A vingt heures, tout le monde est au lit car on accompagnera les moines dans leur service matinal à l'aube.

2 avril 2024

Japon: les cerfs de Nara

Notre passage à Kyoto est bref, car nous nous rendons dès le lever du jour à Nara. Nous reviendrons bientôt dans cette belle ville, mais pour l'heure nous partons au Sud, pour sa petite cousine : Nara et ses temples surveillés par des cerfs en liberté.

Ce soir nous dormirons dans un B&B local, mais on ne peut pas y déposer nos bagages immédiatement, donc nous mettons à profit la consigne de l'office du tourisme avant de commencer notre visite. Le guide recommande un itinéraire que nous avons la bonne idée de prendre à rebours. Cela nous permet d'éviter, brièvement, les foules. La visite du temple aux lanternes, Kasuga-Taisha, avec ses boiseries vermillon et ses lanternes de laiton plus ou moins oxydé est une vraie redécouverte. Je l'avais oublié mais quelle heureuse surprise ! D'autant que la relative faible affluence nous permet de prendre notre temps dans ses coursives, croisant ici et là des novices des deux sexes, vêtus de leurs tenues blanches et chatoyantes. Pantalons turquoise pour les garçons, rouge-vermillon pour les filles.

C'est presque malheureux à dire, mais après Kasuga-Taisha, les autres temples du complexe font un peu pales figures. Les lanternes de pierres recouvertes de mousse et de fougères, et les cerfs nous plongent certes dans une ambiance d'un autre temps, mais les temples en bois brulé s'enchainent sans laisser une profonde marque sur nos rétines. Et pourtant il y a celui où des jeunes filles trempent patiemment des feuilles de papier dans l'eau bénie afin de révéler leur fortune écrite à l’encre sympathique. Il y a celui à la fontaine du dragon. Celui un peu décrépi où les blasons à l'effigie d'un corbeau sur fond blanc détonnent. Celui depuis lequel on a une vue imprenable sur la plaine et ses édifices : ici une pagode à trois étages, la plus ancienne à Nara, là une autre pagode, de cinq étages celle-ci, ce qui en fait la deuxième plus haute du pays…

Et puis il y a le coup de poing dans l'estomac. Un direct que l’on n’en voit pas venir. Pourtant Todai Ji est imposant, déjà de l'extérieur, du haut de ses 49 mètres. Avec ses proportions impressionnantes de 57 mètres de large, et 50 de profondeur, c'est presque un cube de bois géant qui sert d'écrin à Daibutsu, un bouddha géant de bronze, assis sur une fleur de lotus et entouré d'autres effigies religieuses. Nous pénétrons dans l'enceinte à la fin de la journée, tandis que les bus ont commencé à quitter la ville. On peut ainsi profiter pleinement de ce lieu massif enregistré au patrimoine mondial de l'UNESCO. Arthur a même le temps de vérifier qu'il est assez agile pour se glisser à travers une fente du pilier central de la structure de bois… Ouf, ça passe encore malgré sa détermination à tester sans faute toutes les spécialités culinaires locales. Mais le gong résonne finalement. Il nous faut quitter les lieux, non sans avoir une dernière fois saluer les cerfs… qui nous le rendent bien. Littéralement.

Retour au pas de course à la gare pour récupérer nos bagages avant la fermeture du Point Touriste, et nous rendre dans notre chambre d'hôte. Nous serons hébergés au premier étage, où quatre futons moelleux recouverts de couettes énormes nous font de l'œil. Mais notre hôtesse nous alerte sur le fait que les restaurant ferment tôt dans sa ville, aussi nous résistons aux appels de Morphée, et partons plutôt explorer les environs à la recherche d'une table. 

Au détour d'une ruelle, une échoppe laisse entrevoir un comptoir avec huit sièges. Vides. On tente notre chance et nous voici face à Nash, un ancien coiffeur d'une soixantaine d'années, reconverti cuisinier vingt ans plus tôt. On effeuille son menu et on commande un peu de tout, ne serait-ce que pour le plaisir de le voir cuisiner devant nous une dizaine de plats. Les poêles s'animent, les couteaux aussi. Une expérience très sympa, tout droit sortie d'un manga où le chef cuisine à la demande, et à la tête du client. A notre départ, il tire le rideau… Fin de journée pour lui, comme pour nous. Les duvets étaient prometteurs, et ils tiendront leur promesse. Au moment de me coucher, après avoir brièvement ajusté nos valises, je trouve mes trois compagnons de voyage profondément endormis.


1 avril 2024

Japon: transfer vers Kyoto via le chateau d'Himeji

Réveil au petit matin pour découvrir une ile pas encore hantée par les touristes. Tandis que les autres somnolent, j'en profite pour parcourir ses rues, contempler ses édifices qui nous avaient échappés la veille. Ici une pagode, là un temple. Mais les premiers ferries commencent déjà à accoster, comme un signal de départ pour nous qui devons rejoindre Kyoto dans la journée. On ferme donc les valises et on marche jusqu'au port pour l'ile de Honshu, non sans un dernier regard à O-Torii qui aura vraiment mis la barre haute en terme de magnificence.

Un premier train régional pour Hiroshima, puis notre premier Shinkansen. Les garçons attendaient cela avec impatience après en avoir discuté avec leurs copains à l'école. Les cris d'extase à l'entrée en gare couvrent presque le voooooooshhhh fait par ce train à grande vitesse qui fend l'air quasiment sans bruit. Comme on est en avance sur notre programme et pouvons prendre le train déjà à quai, nous devons monter dans le wagon pour les voyageurs sans réservation. Aucun problème : il y a de la place. Et à la seconde prêt, le train se met en marche… En route pour notre escale du jour, Himeji et son château médiéval blanc. 

​Celui-ci trône sur la ville tel un héron sur un lac. On le découvre de loin, à la sortie de la gare, quand il apparait au bout de l'artère principale. Le temps de laisser nos valises à la consigne, et nous partons à sa rencontre. 

C'est un peu comme un vieil ami que l'on n’a pas revu depuis longtemps. Il faut dire que sa visite avait été l'un des moments forts de notre premier voyage dans ce pays, en 2008. Certes l'effet de surprise est moindre pour moi cette fois-ci, mais le château s'est paré d'un atour printanier avec quelques cerisiers en fleurs. Les remparts, les tuiles grises aux motifs des clans successifs, les planchers lissés par le temps et les visites… Chaque coin et recoin de cette forteresse de bois offrent des perspectives différentes, et des sensations difficilement descriptibles. J'imagine des hordes de samouraïs fonçant à l'assaut de la tour principale, tombant sous les flèches de soldats défendant ardemment la vie et l'honneur de leur suzerain retranché au septième étage de ce labyrinthe de bois, papier et escaliers abruptes.

Ce dédale marche bien en cas de guerre (ce qui était souvent le cas dans le Japon médiéval), mais c'est beaucoup moins pratique quand le suzerain se rend compte qu'il a oublié les clés de sa Nissan dans sa chambre, et doit y remonter avant d'aller chercher ses enfants à leur cours de judo… Toujours est-il que cette visite, malgré les hordes de touristes qui ont désormais pris les relais des samouraïs, reste une fantastique introduction à ce Japon d'un autre temps, romantique, esthétique mais aussi sanglant.

En fin de journée, nous reprenons le Shinkansen pour rejoindre Osaka, puis prendre notre correspondance pour Kyoto, notre destination finale du jour. Le décalage horaire continue de sévir en fin d'après-midi, mais la perspective de manger quelques sushis a un effet revigorant. Tout comme la petite course à pied pour faire la tournée des ATM et retirer les billets nécessaires à régler notre facture, vu que l'on découvre au dernier moment que le restaurant n'accepte pas les CB. Les courbatures de la veille n'aident pas à se glisser sous la table basse sur laquelle le poisson nous est servi. Et si les plats sont des plus gracieux dans leurs larges assiettes emmaillées de bleu, notre sortie de table l'est beaucoup moins. Ça tire. Ça grommelle. Ça aspire à un lit douillet que l'on retrouve bientôt…